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La population de Cuba avait deviné toutefois que la politique de l’Espagne tendait à la replacer un jour sous le joug odieux du monopole. Aussi, avertie par les restrictions de plus en plus menaçantes de la métropole, et sachant qu’il faut à une liberté la garantie de toutes les autres, elle poursuivait la conquête des droits qui devaient compléter la réforme limitée en 1818 au commerce. Les Cubanes firent pour la liberté de la presse, pour la liberté de l’enseignement, ce qu’ils avaient fait pour les franchises commerciales ; ils voulurent prendre ces libertés malgré les lois, sauf à forcer la métropole de les ratifier plus tard. Une ou deux feuilles périodiques se hasardèrent furtivement ; tout le monde s’y abonna, afin de s’instruire du mouvement des ports et du commerce. Bientôt des articles de polémique se glissèrent entre les bulletins de la marée et le relevé des entrées en douane ; enfin la politique s’empara presque entièrement des nouvelles feuilles, et le gouvernement ne s’était pas encore éveillé, qu’il était déjà trop tard. Il se publie aujourd’hui dans la seule ville de la Havane six journaux quotidiens, parmi lesquels nous citerons le Faro industrial, la plus grande de toutes les feuilles imprimées dans les états de sa majesté catholique ; puis un recueil politique, industriel et littéraire, paraissant tous les mois sous ce titre : Memorias de la Sociedad. Tous les journaux quotidiens publient dans l’après-midi un supplément consacré au mouvement des ports et aux nouvelles commerciales. En outre, dans l’intérieur de l’île, il n’est pas de petit bourg qui ne possède aussi sa feuille périodique, interprète des besoins, des sentimens, des vœux de sa population. L’autorité sévit bien quelquefois contre les rédacteurs de ces journaux ; mais, comme elle ne poursuit guère que lorsqu’elle se voit directement attaquée, on a soin de la laisser tranquille, et ses rares caprices ne ralentissent pas l’ardeur des publicistes insulaires.

Même chose arriva pour l’enseignement : à côté de l’université se fondèrent, timidement d’abord, des institutions particulières. Le silence du pouvoir avant consacré le privilège de ces institutions, il surgit de tous côtés des établissemens analogues, parmi lesquels ceux de Carajuao et de San-Fernando peuvent rivaliser avec les écoles les plus justement célèbres de l’Europe. De Carajuao sont sortis des hommes dont la littérature et la philosophie espagnole s’honorent à bon droit. La renommée de ces établissemens ne tarda pas à y attirer des élèves de l’île entière, et même de toutes les parties du continent de l’Amérique. Le gouvernement s’aperçut bientôt qu’on désertait l’université pour ces nouveaux collèges. Il s’en vengea en élevant le prix des examens et des diplômes, que l’université conservait seule le droit de délivrer. Il comptait ainsi fermer à un plus grand nombre de jeunes gens l’entrée des professions libérales et empêcher les lumières de se répandre ailleurs que dans le commerce, où il les jugeait peu redoutables. Le diplôme seul, le simple