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manufacturiers ne virent absolument que le chiffre des importations étrangères, ils réclamèrent, et le gouvernement crut devoir céder à leurs instances. Maintenant nous ne recevons plus de marchandises étrangères franches de droits, mais nous avons perdu le commerce de l’Espagne et du Portugal, que nous commencions à faire en 1840 ; l’importation s’est accrue à cause de l’accroissement de la population, mais la réexportation a presque disparu, et le cabotage étranger ne fréquente plus que fort peu les ports de l’Algérie, sans que pour cela notre navigation ait augmenté en proportion des pertes de notre commerce. Cependant, dans une colonie où l’agriculture d’exportation est pour le moment impossible, à cause de l’absence des grandes voies naturelles de communication, n’est-il pas nécessaire que le commerce soit appelé à former des centres où puissent s’écouler les produits des campagnes ? La première nécessité de l’Algérie est donc de s’emparer du commerce de la Méditerranée ; c’est autour de ses villes commerçantes que la colonisation viendra d’abord se grouper pour rayonner ensuite sur tout le pays. Il faut que la culture de consommation précède la culture d’exportation. Or, le commerce peut-il exister sans garanties ? peut-il naître sans libertés ?

Toutes ces difficultés existaient à Cuba. On a vu comment cette colonie en a eu raison par le décret de 1818. On a vu aussi quels ont été les résultats des efforts tentés depuis par le gouvernement espagnol pour rendre sa concession illusoire. Il importe que ce double exemple profite à la France, et que, si elle écoute à son tour les conseils d’une politique plus libérale, elle ne compromette pas, comme l’Espagne, le système nouveau par de funestes retours vers le système ancien. En promulguant cette année une loi qui ouvre la libre entrée dans nos ports aux fers, fontes, cuivres, chanvres étrangers et autres matières destinées aux constructions navales, le gouvernement français a levé un des véritables obstacles qui s’opposaient au développement de notre marine marchande, il a répondu dès-lors au principal argument sur lequel s’appuient les partisans des vieilles institutions coloniales. C’est un premier pas vers un régime plus conforme aux intérêts, aux tendances des sociétés nouvelles, et qui, en épargnant à nos finances des sacrifices sans nombre, sera pour nos colonies, dans l’ordre moral comme dans l’ordre matériel, la source d’inappréciables bienfaits.


FÉLIX CLAVÉ.