Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 18.djvu/932

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans obstacle des concessions à perpétuité. Après 1830, malgré l’exemple de l’Angleterre, où l’autorité n’intervient que pour sanctionner les droits perpétuels des grandes compagnies, on reconnaît qu’il y a danger à aliéner indéfiniment un des élémens principaux de la fortune publique, la viabilité intérieure. On pose en principe que les concessions ne seront plus que temporaires, et que la propriété définitive fera retour à l’état. Toutefois, on croit nécessaire d’offrir aux compagnies l’encouragement d’un très long privilège : la durée ordinaire des concessions, pendant cette première période, est de quatre-vingt-dix-neuf ans ; les chemins d’Alais à Beaucaire, de Montpellier à Cette, de Paris à Saint-Germain et à Versailles, sont accordés dans ces termes. Une jouissance qui dépasse la durée ordinaire de la vie humaine est presque la perpétuité aux yeux des hommes, et pourtant, malgré cet attrait, la création des chemins de fer excède tellement les habitudes du commerce français, qu’on désespère de les obtenir par les seuls efforts des particuliers. En 1837, le gouvernement proclame la nécessité de concourir à la création des grandes lignes par des subventions, ou par des avances, ou par l’appui de son crédit. L’industrie privée ne répondant pas encore à cet appel, on imagine de faire exécuter provisoirement par l’état quatre lignes principales rayonnant de Paris à la frontière belge, au Hâvre, à Bordeaux, et dans la direction de Marseille. Les notions sont encore tellement confuses que, pour ces travaux divers auxquels 500 millions ne suffiront pas, le ministère demande un crédit de 157 millions. Convaincu d’imprévoyance, le gouvernement recule bientôt devant la responsabilité d’une œuvre écrasante. En 1838, l’opinion publique se prononce en faveur des compagnies : créer en France l’esprit d’association, telle est la formule en vogue. En conséquence, les deux meilleures lignes, celles de Rouen et d’Orléans, sont concédées avec un privilège de soixante-dix ans. A son tour, l’industrie particulière fait preuve d’impuissance ; les capitaux découragés se retirent ; il faut, pour les rappeler, écarter des concessions toutes les clauses onéreuses, prolonger la jouissance à quatre-vingt-dix-neuf ans, élever les tarifs, accorder à la ligne d’Orléans la garantie d’un minimum d’intérêt, à celle de Rouen un prêt de 14 millions à 3 pour 100. Ces avantages sont-ils assez évidens pour exciter l’envie des autres spéculateurs ? Non ; trois années se passent sans qu’une offre considérable soit faite pour les autres régions de la France. Cependant, on sent plus vivement de jour en jour que les communications économiques et rapides sont le premier besoin des peuples modernes. On imagine le système mixte de 1842, qui partage les sacrifices entre l’état, les localités desservies par le chemin et les compagnies. Les budgets publics ou communaux paieront les terrains, les terrassemens et les travaux d’art, c’est-à-dire les deux tiers de la dépense ; le ferrement de la voie et le matériel de l’exploitation seront les seules charges de l’industrie privée. Sous la première influence de cette loi, l’excellente ligne d’Avignon à Marseille est concédée avec une jouissance de trente-trois ans et une subvention de 32 millions, somme représentative des travaux d’art. C’est alors que l’opinion commence à s’échauffer, au spectacle de quelques fortunes rapides. La supputation des profits à espérer devient le problème à l’ordre du jour ; on établit les calculs sur des élémens incomplets, sur des moyennes trompeuses, puisque chaque opération a des conditions d’établissement et d’avenir qui lui sont propres. En 1844, l’industrie privée ne croit pas encore pouvoir se passer du concours de l’état,