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DE LA


CRISE DES CHEMINS DE FER.




Il y a moins de deux ans, l’engouement pour les chemins de fer avait créé une de ces situations où les peuples semblent atteints de démence. Les millions répondaient au premier appel des spéculateurs. Aujourd’hui, les entreprises encouragées à l’origine par des faveurs exceptionnelles et en pleine possession du succès conservent seules leur crédit. Pour les lignes inachevées, des titres excellens sont tombés au-dessous du pair : les versemens sont incertains ; plusieurs compagnies, effrayées des engagemens qu’elles ont acceptés dans un moment de fièvre, menacent de se dissoudre et de retirer le pain à cent mille ouvriers, si l’on ne vient pas à leur aide par des modifications à leurs contrats ou par des secours effectifs. Dans des circonstances ordinaires, à une époque de calme et de prospérité réelle, on ne s’étonnerait pas de ce contraste. On n’y verrait qu’une réaction naturelle et inévitable après un entraînement désordonné, on approuverait que le gouvernement cherchât à conjurer la crise par des adoucissemens aux contrats passés avec les compagnies ou par des combinaisons empruntées à la science du crédit ; mais le mal qui paralyse actuellement l’industrie des chemins de fer est un discrédit moral plutôt encore qu’un embarras financier. L’opinion publique s’obstine à voir dans les souffrances présentes une juste expiation de quelques excès déplorables. Cette disposition, que nous tenons à constater pour que les hommes consciencieux s’en défient, est un obstacle aux mesures que le gouvernement devrait et sans doute voudrait prendre pour relever le crédit industriel et hâter l’achèvement des travaux.

On a beaucoup déclamé contre l’agiotage ; on n’a pas remarqué qu’il n’a profité à personne autant qu’à l’état, c’est-à-dire à tout le monde. Rappelons-nous les variations de l’esprit public en matière de chemins de fer. À l’origine, il semble naturel qu’une entreprise aussi audacieuse constitue une propriété absolue et imprescriptible, comme toutes les autres créations de l’industrie particulière. Deux ou trois petits chemins d’essai, faits sous la restauration, obtien-