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le pauvre, trouvent chez eux d’inépuisables trésors de bonté, de mansuétude et de munificence. Il suffit qu’on soit obscur pour qu’ils vous comprennent, qu’on soit débile pour qu’ils vous appuient, qu’on ne puisse jamais être redoutable pour qu’ils vous trouvent toujours irrépréhensible ! Donner aux indigens, refuser aux riches, n’est-ce pas le précepte évangélique dans toute sa pureté, et la critique n’est-elle pas restée, cette fois comme toujours, dans les limites les plus vraies de la charité chrétienne ? Après cela, est-il besoin de chercher s’il n’y, a pas un peu de malice au fond de cette bienveillance, et si cette seconde comédie, jouée parallèlement à la première, ne pourrait pas prendre pour épigraphe ce titre de Shakespeare : Beaucoup de bruit pour rien, ou cette phrase de Beaumarchais : « Qui trompe-t-on ici ? » En vérité, nous doutons fort qu’après avoir prodigué tous ces bravos et signé tous ces éloges, nos modernes augures aient pu se regarder sans rire.

Qu’est-ce que l’École des Familles ? Quoiqu’il soit difficile de rien affirmer à propos d’un drame qu’il est impossible de bien comprendre, j’ai cru deviner qu’il s’agissait de faire la leçon aux pères indulgens qui, par leur faiblesse, rendent leurs fils dissipateurs, libertins et faussaires. M. de Vernon, magistrat, comte et député, a un fils qui s’appelle Julio, marié à une femme qui s’appelle Julia. Malgré cette similitude de noms, Julio et Julia font assez mauvais ménage Julio s’endette ; Julia nourrit en secret un amour coupable pour un sombre personnage nommé Maxime, homme de génie et architecte, qui a fini par devenir maçon et millionnaire. Que doit-on penser de ce Maxime ? Je vous défie de le prévoir avant la dernière scène du dernier acte ; seulement, ne le perdez pas de vue, car il est le créancier du mari, l’amoureux de la femme, le prétendu de la sœur et la cheville ouvrière de tout l’ouvrage.

Avant d’aller plus loin, je demanderai comment l’indulgence de M. de Vernon peut être cause des folies de Julio, marié depuis cinq ans, et du secret amour de Julia pour Maxime. Une fois marié, ce Julio, qu’on nous représente comme un homme d’une nature ardente et indomptée, serait probablement devenu plus coupable encore, si son père l’avait préalablement traité avec plus de rigueur, et, l’amour de Julia, antérieur à son mariage, n’a certainement rien à faire avec le plus ou moins de sévérité de M. de Vernon. Pour contraster avec ce triste résultat de la faiblesse paternelle, l’auteur nous amène un frère de M. de Vernon, Marseillais pur-sang, dont tout le comique consiste à parler comme on parle sur la place Cannebière. Celui-là a aussi un fils, nommé Auguste, qu’il a rudement élevé, et il nous indique même, par des gestes très expressifs, de quelle façon il s’y est pris pour le corriger. C’est pourquoi Auguste est devenu un jeune homme accompli, rangé, sentimental et poète par-dessus le marché ; plus heureux que M. Adolphe Dumas, il a une pièce reçue au Théâtre-Français. Voilà la conséquence des corrections manuelles de M. Antoine de Vernon. Ce système d’éducation, expliqué par le père devant ce grand garçon de vingt-quatre ans, auteur d’un drame en cinq actes, ne vous semble-t-il pas un peu choquant ? Cet Auguste qu’on nous donne pour un jeune homme d’un noble cœur, d’une imagination exquise et charmante, ne se serait-il pas mieux développé sous l’empire d’un père indulgent et spirituel que sous le bâton de cet affreux Marseillais, dont l’accent doit mettre en fuite les neuf muses, pour peu qu’elles aient l’oreille délicate ? Telle est cependant toute la base de ce drame : ajouter un chapitre à