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vénérée. Plusieurs travaux inédits du célèbre écrivain ont été soigneusement recueillis : nous citerons d’abord les lettres que Daunou écrivait de Rome, en 1798, à Larévellière-Lépaux. On assiste, dans cette curieuse correspondance, aux efforts de la commission qui avait été chargée d’installer dans les États-Romains une constitution républicaine, substituée au pouvoir temporel des papes. Outre leur importance historique, ces lettres ont un véritable attrait littéraire, et le contraste des idées françaises avec les mœurs italiennes amène souvent de très piquans tableaux. « Depuis la loi, écrit le commissaire du directoire, depuis la loi qui déclare les prêtres responsables de tous les mouvemens séditieux qu’ils n’auront pas très activement empêchés, c’est à qui fera des sermons en l’honneur de la république ; on prêche la liberté, l’égalité, le paiement des impôts, le service de la garde nationale, presque autant que la sainte vierge et les apôtres… En un mot, je n’oserais pas t’assurer qu’il y a beaucoup de patriotisme dans les ames ; car comment répondre des ames italiennes ? mais il y en a beaucoup dans tous les actes extérieurs. » La plume grave de Daunou s’égaie ainsi en maintes rencontres. Nous recommandons surtout l’histoire de la convention, écrite par celui qui a dit avec une éloquence si vraie : « Il ne faut point appeler hauteur de la révolution ce qui ne serait que la région des vautours ; restons dans l’atmosphère de l’humanité et de la justice. » La première édition des Documens biographiques contenait les deux premiers chapitres de cette histoire ; l’édition récente a complété ce travail en donnant le mémoire écrit par Daunou pendant sa captivité dans les cachots de Port-Libre. Ce mémoire, dans lequel l’illustre prisonnier raconte tout ce qui s’est passé depuis le 31 mai, le triomphe de la commune, l’avilissement de la convention, le règne de l’anarchie et enfin le despotisme inflexible de Robespierre, est un admirable fragment historique. C’est de l’histoire passionnée, j’y consens ; mais où est le mal, après tout, si c’est la passion de la justice et de la liberté ? N’y a-t-il pas des momens où l’histoire doit ressembler à un décret d’accusation ? On ne lira pas sans une émotion vive ces belles pages écrites sous les verrous du dictateur par cet homme intrépide et pur. Les portraits de Marat, de Danton, de Robespierre, ont cet accent de vérité qui ne manque jamais à l’indignation d’un témoin. La conclusion est de la plus haute éloquence. Nous remercions M. A. Taillandier de ces importantes communications ; il serait à désirer que tous les papiers des hommes éminens de la république pussent être ainsi l’objet d’une étude habile et consciencieuse. Ce livre, d’ailleurs, ne se recommande pas seulement par les précieuses pièces inédites que nous venons de signaler ; écrit d’un style simple et sévère, il appartient à l’école du maître sérieux dont il raconte la vie.



V. de Mars.