sent dans les vertus de la pénitence ; souvent les dieux l’éprouvent à leurs dépens. Un solitaire qui a à se plaindre de la déesse Ganga (le Gange) la punit en l’avalant ; un autre se venge de Siva, roi des dieux, en le mettant, par l’efficacité de la prière, dans l’état où Saturne fut réduit par Jupiter. Tel est le pouvoir que les anachorètes de l’Inde peuvent acquérir par la mortification. L’homme, en réprimant ses sens, devient maître de l’univers et supérieur aux dieux. Cette exagération insensée de l’énergie que possède la volonté de l’homme affranchi de ses passions a un côté sublime.
Autre singularité qui caractérise le génie indien : à côté de l’ascétisme est la philosophie. Les brahmanes sont représentés discutant sur la nature des choses ; l’un d’eux, pour avoir trop médité sur la misère de la condition humaine, sur le triomphe des méchans et le malheur des bons, en est venu à mettre en question l’autorité des Védas. Ainsi, dès ces temps reculés, la spéculation métaphysique revendique ses droits en présence de l’autorité religieuse la plus forte et la plus tyrannique qui fût jamais, et même le bon sens moral s’est fait jour dans cette poésie tout imprégnée d’extase au point d’y introduire une pensée qui sent son xviiie siècle. « Un roi n’obtient pas le ciel par des sacrifices, mais en bien gouvernant ses états. » Je connais peu d’exemples d’une poésie philosophique plus élevée que celle que respire le passage suivant sur la mort. « Les hommes se réjouissent lorsque le soleil se lève, et, lorsque le soleil se couche, ce devrait être pour eux un avertissement que tout a son aurore et son couchant. Ils se réjouissent du printemps quand tout nous semble jeune et nouveau. Hélas ! à mesure que l’année entraîne les saisons, notre vie nous échappe. Comme une goutte de rosée qui tremble sur une fleur de lotus, le bonheur de l’homme est toujours vacillant et près de disparaître, et comme au sein du grand océan un bois flottant en rencontre un autre, ainsi les êtres se rencontrent un moment sur la terre. » Il y a dans ces vers une mélancolie pleine de grandeur. Du reste, la grandeur est le caractère de la poésie du Ramayana ; ce caractère ne l’abandonne jamais. Un roi sur son trône est comparé au père universel environné par les dieux qui gouvernent le monde. L’arc divin de Siva est si pesant, que huit cents hommes ont peine à le traîner ; Rama le soulève facilement, et, en le tendant, le brise avec un bruit semblable au fracas d’un rocher qui se précipite, au retentissement de la foudre qu’Indra lance contre le sommet d’une montagne. Nulle part ce caractère de grandeur ne se montre avec plus de puissance et d’originalité que dans le récit de la descente de la déesse Ganga du ciel sur la terre. Voici les circonstances, elles-mêmes fort étranges, qui amènent cet épisode extraordinaire.
Un ancien roi nommé Sagara avait deux épouses ; la première lui donna un fils, la seconde lui en donna soixante-dix mille. J’ai déjà dit