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moyennant argent, les autres à titre de concessions gratuites. Tous ces chiffres sont bien arbitraires ; ils fournissent néanmoins un vague aperçu des résultats financiers de la conquête. Comme placement d’argent, la spéculation n’est pas brillante pour la métropole, il faut en convenir. Pour acquérir un domaine estimé en capital à 145 millions, on a déjà dépensé plus d’un milliard, et, si d’ici à dix ans quelque veine d’exploitation fructueuse n’a pas été ouverte, chaque hectare de broussailles en Afrique nous aura coûté plus cher qu’un hectare dans les meilleures plaines de la Beauce.

Le domaine rural concessible aujourd’hui contient donc 390,000 hectares de toute nature que l’administration paraît estimer en moyenne à 36 francs. Le but principal n’est pas d’en tirer un revenu : c’est de le répartir de la manière la plus efficace pour le peuplement et la mise en valeur de l’Afrique française. Le droit de distribuer le sol, de créer des propriétaires, semble être une prérogative bien désirable, et pourtant, lorsqu’on suit la série des ordonnances qui ont réglementé la matière, on voit la direction supérieure de l’Algérie limiter d’elle-même sa prérogative, comme pour éviter une trop lourde responsabilité. Pendant les dix premières années, il n’y eut que de petites concessions, faites arbitrairement par les chefs militaires dans le voisinage des postes. Lorsque les idées d’organisation se produisirent vers 1841, M. le maréchal Bugeaud prit un arrêté par lequel il s’autorisait, lui, gouverneur-général, à créer des centres de population : il s’agissait pour le moment d’établir les petits colons dans des villages ; l’intention était bonne : on ne réclama pas. Cependant, la colonisation prenant essor et des demandes importantes étant faites, le ministre de la guerre voulut prévenir les conflits avec le gouverneur-général en lui retirant le droit de transmettre les biens domaniaux, et en s’interdisant à lui-même la liberté de concéder au-dessus de cent hectares.. (Ordonnance du 21 juillet 1845.) La sanction royale fut également déclarée nécessaire pour l’aliénation des forêts et des mines.

Enfin une ordonnance récente (5 juin 1847) semble limiter même la prérogative royale en déférant au conseil d’état, et, en certains cas à des commissions spéciales, le contrôle des concessions importantes[1]. En même temps que le pouvoir fournit ainsi des garanties contre lui-même, il en demande de très positives à ces mêmes capitalistes qu’on l’accuse de favoriser. Tout concessionnaire au-dessus de 100 hectares sera tenu à l’avenir de déposer un cautionnement de 10 francs par hectare jusqu’au parfait accomplissement des conditions de mise en valeur

  1. L’ordonnance constitutive du 1er septembre 1847 vient de rendre au futur gouverneur-général le droit de concéder les propriétés rurales jusqu’à 100 hectares, mais sur un avis motivé d’un conseil supérieur d’administration, formé par la réunion des premiers fonctionnaires de la colonie.