Jeter à grand rançon[1] sa fille de servage[2] ;
Du Dieu de longue archie[3] entre ses mains portant
Bandel[4] et sceptre d’or, et tous les Grecs priant,
Surtout les deux Atrides, qui tant ont seigneurage[5].
« Atride[6], et vous, portant beaux jambarts, Achéen,
« Fassent li Dieu[7] qui sus[8] ont manoir olympien,
« Gâtiez[9] la cit[10] Priam et repairiez[11] à bien !
« Mais prenez la rançon, rendez ma fille amie,
« Craignant le fil Latone, Phébus à longue archie. »
Bien à ce s’assentirent[12] tout[13] li autre Achéen
Qu’honneurs[14] soit faite au prêtre, grands rançons[15] accueillie.
Li seuls Agamemnons n’y eut le cœur enclin[16],
Durement l’arraisonne[17] et mal le congédie :
« Qu’aux vaisseaux creux, vieillards, je ne te trouve mie[18]
« Ou tardant davantage ou venant autre fie[19] ;
« Du Dieu bandeaux ou sceptres ne te seroit d’aïe[20].
« Ne la rendrai, ne l’ait[21] vieillesse jà saisie
« En ma maison d’Argos, mont[22] loin de sa patrie,
- ↑ Ce mot est ordinairement, dans les poètes, de trois syllabes : raançon ; mais je l’ai trouvé aussi de deux syllabes dans des textes en prose il est vrai.
- ↑ Berthe, VII : « Bien savez que tous trois de servage jetai. »
- ↑ La portée d’un arc. Berthe, CIX. « Quatre archies ert loin du manoir et demie. »
- ↑ Bandeau. Tous nos noms en eau avaient dans l’ancien langage eaux au sujet singulier et el au régime singulier.
- ↑ Autorité. Roncisvals, p. 19. « Jamais n’ert rois de si grand seigneurage. » Tant signifie si grand.
- ↑ Atride et Achéen sont au pluriel sujet, ce qui est indiqué par l’absence de l’s. Le vocatif était traité, comme le sujet.
- ↑ Les dieux.
- ↑ En haut. Voyez Raoul de Cambrai, p. 198. « Grans fut la noise sus au palais plenier. »
- ↑ Que vous ravagiez. Ravager est la signification antique de gâter. Que est sous-entendu ; vous l’est aussi ; les pronoms qui sont sujets se suppriment à volonté.
- ↑ La cité de Priam. Berthe, LXXV : « Or s’en va la roïne vers la cit de Paris. »
- ↑ Repairer, proprement retourner dans son pays, et aussi retourner en général.
- ↑ Ce mot, qui est dans le Dictionnaire de l’Académie, était chez nos anciens un verbe réfléchi.
- ↑ Tous les autres Achéens. Ce mot fait d’ordinaire tait au sujet pluriel ; cependant on trouve aussi tout, que j’ai préféré comme plus près de la forme actuelle. Berthe, V : « Que tout li gant seigneur, li comte et fi marquis. »
- ↑ Honneur était du féminin, comme le sont encore presque tous les autres noms de même formation, tels que douleur, pâleur, humeur, etc.
- ↑ Grande rançon.
- ↑ Chron. des ducs de Normandie, V. 219 « Et plusieurs des peuples voisins Ainsi tous fait à soi aclins. »
- ↑ Ce mot, très employé chez nos anciens, est encore dans le Dictionnaire de l’Académie.
- ↑ Mie et pas sont employés dans l’ancien français pour renforcer la négation.
- ↑ Fois. Berthe, LXXII. « Tout ainsi com li rois l’eut dit à cele fie. » On disait aussi fois.
- ↑ Aïe, aide, secours. Berthe, CIX. « Là remest toute seule ; Diex lui soit en aÎe. »
- ↑ Le que est sous-entendu : que ne l’ait.
- ↑ Très, beaucoup. Tout le xvie siècle s’est encore servi de ce mot très commode.