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révolte et sans humiliation la déchéance du pouvoir absolu, le fait historique n’a point été conforme à cette supposition, et le caractère de ceux que la Providence avait destinés à essuyer la révolution de 1789 formait comme un invincible obstacle au succès pacifique d’une rénovation aussi brusque et aussi profonde. M. de Barante nous paraît les avoir compris avec une rare sagacité. Voici une peinture qui, je crois, paraîtra pleine de justesse et de vérité

« Le roi avait placé toute son espérance dans les fautes et les excès de l’assemblée ; il croyait qu’elle périrait par le désordre, qui s’en allait croissant de jour en jour, et succomberait sous le décri public. Il ne refusait la sanction à aucun décret ; quelquefois même il résistait aux conseils de ses ministres, lorsqu’ils cherchaient à lui montrer les inconvéniens manifestes de quelque mesure adoptée par l’assemblée. Elle avait interdit à tout citoyen la faculté de prendre aucun titre, de porter un autre nom que le nom de famille, et d’avoir des livrées ou des armoiries. Après le décret rendu, quelques réclamations et les avis de plusieurs hommes sages déterminèrent le comité de constitution à modifier un texte trop général et trop absolu ; il devait proposer un nouveau projet de décret. M. de Lafayette se montrait favorable à quelques amendemens. Le premier décret avait déjà été transmis à la sanction royale ; on en parla au conseil. Les ministres étaient unanimes pour attendre le décret amendé. M. Necker lisait les observations qu’il avait écrites contre ce projet. Il s’aperçut que le roi, qui l’avait devant lui, y apposait sa signature ; il crut que c’était par mégarde. « Que fait donc votre majesté ? dit-il. — Je sanctionne le décret, » répondit le roi. Son empressement à le signer était d’autant plus grand qu’il avait entendu dire que généralement il était désapprouvé.

« C’est ainsi qu’il compromettait ses ministres, à qui l’on attribuait une influence qu’ils étaient loin d’avoir. Sa faiblesse s’arrangeait assez bien d’un plan de conduite qui le dispensait de lutte et d’hésitation, et qui en même temps laissait la responsabilité aux ministres. Il les savait fidèles et dévoués ; cependant il était loin de leur laisser connaître ses arrière-pensées, ses secrètes espérances, ni les commencemens de projets qu’il accueillait à demi, et qui, lui inspirant une sorte de confiance dans l’avenir, l’empêchaient de s’occuper raisonnablement du présent. Il se gardait bien d’en faire confidence à ses conseillers officiels ; ils lui auraient fait des objections qui auraient augmenté ses incertitudes : de sorte qu’il ne se livrait complètement ni à ses ministres, ni à ses conseillers occultes, ni aux agens qu’il employait, soit à des intrigues du dedans, soit à des correspondances au dehors. Ce n’est pas qu’il se fît des illusions complètes. S’il essayait de combattre la révolution, c’était avec découragement ; s’il lui cédait, c’était avec répugnance. « Je finirai comme les rois faibles, disait-il souvent ; on me tuera. » Il avait des