autres en faisant entrer incidemment, dans une phrase qu’on emprunte, des faits historiques dont la mémoire ne fournit qu’une notion confuse, sans se donner la peine de les vérifier. Au reste, il est certain que le second duc d’Épernon, celui dont on a voulu parler, avait à son service une troupe de comédiens qui ne manquait pas de réputation. Le Roman comique en fait foi : « Notre troupe, dit le Destin (chap. II, 1ère partie), est aussi complète que celle du prince d’Orange ou de son altesse d’Épernon. » Peut-être était-ce celle de Molière. En tout cas, ce duc n’aurait pu l’employer que jusqu’au commencement de 1649, époque des troubles de Bordeaux, qui finirent par le mettre hors de son gouvernement. La présence de Molière à Vienne en Dauphiné n’a pas non plus de date. Elle est constatée dans un passage de la vie de Pierre de Boissat, écrite en latin par Nicolas Chorier ; mais il n’y a aucune raison impérieuse pour la placer à longue distance du temps où Molière habita Lyon, sa troupe vagabonde ayant pu fort bien ou s’arrêter à Vienne en venant à Lyon, ou faire une excursion de cette dernière ville dans la première. Son séjour à Nantes s’appuie sur une autorité plus formelle : elle résulterait d’un acte municipal où il est dit que, « le 23 avril 1648, le sieur Molière, avec ses comédiens et la troupe du sieur Dufresne, avait supplié très humblement messieurs (de la ville) leur permettre de monter sur le théâtre pour représenter leurs comédies. Sur quoi le bureau avait arrêté que la troupe desdits comédiens obtiendrait de monter sur le théâtre jusqu’au dimanche suivant (26 avril). » Avec ce peu de documens, et on n’en a pas davantage, on pourrait ainsi tracer le premier itinéraire de Molière dans les provinces, en supposant tantôt de longues, tantôt de courtes stations dans les différens lieux où l’on pouvait trouver des tréteaux pour étendre des planches et un toit pour couvrir des spectateurs : de Paris à Nantes, où on le voit en 1648 ; de Nantes à Bordeaux, d’où la guerre civile le fait déguerpir ; de Bordeaux, en s’arrêtant à Vienne, jusqu’à Lyon, où nous le retrouverons établi en 1653.
Nous avons exclu de cet itinéraire le retour à Paris, parce qu’il est évidemment supposé, et voici d’où vient cette invention des biographes modernes : ils avaient assez bien senti, sans trop savoir pourquoi, que la protection du prince de Conti et l’invitation de venir le joindre en Languedoc ne pouvaient se maintenir en l’année 1645, lors de l’existence de « l’Illustre-Théâtre. » Ils ont imaginé de reporter cette circonstance à cinq ans de la date qu’on lui avait donnée, ce qui la rendait plus vraisemblable. Pour cela, il fallait ramener Molière à Paris, où l’on savait vaguement que le prince était resté ; on l’y fit revenir en l’année 1650, et « jouer plusieurs fois la comédie, cette année-là, dans l’hôtel du prince de Conti. » Or, voici ce qui était advenu à ce prince depuis que nous l’avons laissé, en 1646, soutenant des thèses de théologie. Son père, dès la fin de 1646, était mort ; mais son jeune âge le laissait sous la tutelle de sa mère et d’un frère victorieux qui ne demandait qu’à garder pour lui seul tout le bien de la famille. Il avait donc continué, pourvu de riches abbayes, à se préparer pour le cardinalat, où son frère (1648) montrait grande impatience de le voir enfermé. Un événement imprévu l’avait tout à coup émancipé. Nommé généralissime des Parisiens révoltés (janvier 1649), il guerroya, tant bien que mal, trois mois durant, contre les troupes royales commandées par son frère, et, la paix faite avec le roi (avril), sa réconciliation opérée avec sa famille, la poursuite du cardinalat abandonnée, la cour rentrée à Paris (avril), il n’eut pas même le