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plus n’est de nature à l’irriter contre la bourgeoisie, qui ne veut et ne peut rien contre elle : tant qu’une bonne loi électorale ne l’aura pas rendue prépondérante et responsable, le rôle naturel de la grandesse, c’est donc l’indifférence et la neutralité. Reste le peuple, seul directement hostile aux vieux abus, dont la partie odieuse, vexatoire, s’est réfugiée dans les degrés inférieurs de l’administration, et dont il subit par suite le contact quotidien ; mais le peuple trouve une expansion suffisante à ses rancunes dans le correctif pratique de l’illégalité, dont il use à sa guise. Chez nous, il démolissait la Bastille pour punir la royauté et la noblesse ; en Espagne, il devient guerrillero, bandit ou émeutier pour faire pièce au fiscal, au collecteur ou à l’alguazil. Il s’offrait un moyen lent, mais sûr, je le répète, d’utiliser ces rancunes au profit de l’idée révolutionnaire : c’était de les agglomérer, d’en former un faisceau électoral. Ce moyen, on n’a pas osé y recourir, et le peuple est retombé dans sa facile résignation. Ne soyons donc pas surpris si, comme on l’a dit avec beaucoup- de raison dans cette Revue[1], l’individualisme apparaît seul à la surface de la révolution espagnole. Tout homme qui se présente avec une idée, une volonté, un but de rénovation, se trouve nécessairement isolé. Pour jouer un rôle, il devrait commencer par se faire un public, c’est-à-dire improviser pour son usage ce qui fut chez nous l’œuvre de huit siècles.


V.

Larra est-il exalté ou modéré ? Il est pamphlétaire, voilà tout, c’est-à-dire opposant. Remarquons seulement qu’en ses boutades les plus capricieuses, il tend, parfois à son insu, à l’une ou l’autre de ces conclusions, qui, en Espagne, n’ont rien de contradictoire, je l’ai dit : plus de droits chez le peuple ; plus d’énergie dans le pouvoir, jusqu’aux coups d’état inclusivement. Hors de là, il persiste dans son rôle de mécontent, promenant d’un journal à l’autre son pseudonyme de Figaro qu’il avait pris depuis le pobrecito Hablador ; littéraire dans les feuilles ministérielles, politique dans les feuilles d’opposition, indépendant toujours, et n’épargnant au besoin, ni aux uns, ni aux autres, les petites perfidies de son ironie détournée. Dans une lettre qu’il écrivait un jour « aux rédacteurs du Monde, dans le monde ou ailleurs, » en réponse, je crois, à certaine provocation, il nous donne quelques détails sur sa façon de vivre :


« Je suis Figaro. Tout le monde sait qui est Figaro, et, si par hasard quelqu’un l’ignore, je dirai que Figaro et Mariano José de Larra sont entre eux comme chair et ongle, ni plus ni moins que le député Argüelles et la constitution de 1812, et qu’on ne peut blesser l’un sans détériorer un peu l’autre. Ensemble

  1. Voyez, dans la livraison du 15 avril dernier, Madrid et la Société espagnole.