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nous vivons, ensemble nous écrivons, et ensemble nous nous rions de vous, des autres et de nous-mêmes.

« Pour plus amples renseignemens, nous écrivons dans le Mundo quatre petits articles par mois, où, comme barbier, il nous est facultatif de faire la barbe à quatre pratiques. Nous écrivons dans le Redactor general, et encore nous reste-t-il du temps pour rédiger dans l’Español la partie des théâtres et de la littérature : le tout moyennant honoraires bien et dûment assurés par traité, car nous vivons de cela et nous le tenons fort à honneur. Et avec l’aide de Dieu et de notre pauvre esprit, encore nous faut-il donner çà et là au théâtre, dans le plus bref délai, soit quelque drame lamentable, soit quelque comédie ; puis arrivent les feuilletons de circonstance ou toute autre bagatelle qui se présente, ce qui ne manque pas. Nous avertissons en outre que nous signons tous nos écrits, en sorte que ni les lecteurs, ni la loi, s’il y a ici une loi, n’ont à se casser la tête pour deviner le nom de celui qui les amuse ou de celui qu’il s’agit de prendre au corps.

« En cas de mandat de déportation, notre malle est faite et nos lettres de recommandation pour les îles Canaries sont demandées, quoique nous ne comptions pas faire le voyage, parce que nous ne conspirons pas, et pour d’autres motifs. En fait de papiers, comme le gouvernement a eu la bonté de nous avertir d’avance qu’il viendrait les visiter, nous n’avons laissé que les lettres d’amour, qui feront passer un bon moment à M. le chef politique et aux témoins. Le reste, nous l’avons soigneusement caché (y compris les lettres de change, car, franchement, nous sommes un peu en défiance), bien qu’il ne s’y trouvât rien d’extraordinaire ; mais, comme il s’y agissait de littérature et que nous ne considérons pas ceux qui prennent les gens comme très versés dans la matière, nous aurions craint qu’on ne vît dans une note en grec des signes maçonniques ou des chiffres de société secrète ; dans divers sonnets à Philis de notre cru, un hommage à la république, ou, dans quelque élégie sur la mort d’un ami, l’oraison funèbre de l’Estatuto.

« Item, nous déclarons en bonne forme demeurer rue Sainte-Claire, no 3, où nous pensons demeurer jusqu’à complète démolition, où on peut nous prendre le matin depuis neuf heures, et où nous rentrons la nuit fort tard et tous deux seuls, Figaro et le susdit Larra, bras dessus, bras dessous, ordinairement par la calle Mayor. »

Comme on a pu le remarquer dans les différentes citations qui remontent à 1834 et aux années suivantes, Larra a changé de genre en changeant de pseudonyme. Ferdinand mort, et mort tout de bonnette fois, notre pamphlétaire est devenu plus incisif, plus net, plus personnel, ne gardant de sa première manière que le bon sens pratique du bachelier don Juan Perez de Munguia et son impartialité si indulgente, si espagnole, qu’il continuera d’appliquer à tout,… même à l’assassinat. Qu’on ne se récrie pas. Nous sommes toujours en Espagne, et le morceau suivant m’a paru un chef-d’œuvre de logique indigène :

« Tu as appris sans doute à Paris les assassinats de Notre-Dame-de-Bort[1]. Beaucoup de libéraux s’en sont affligés, et moi de même. Comme libéral, ma

  1. Un massacre de prisonniers factieux commis près de Barcelone.