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II.

De même qu’il y eut plusieurs Aspasie, plusieurs Phryné, plusieurs Laïs, plusieurs Glycère, il y eut aussi plusieurs Sappho ; on en distingue deux entre autres, nées toutes les deux dans cette île de Lesbos, patrie naturelle des femmes voluptueuses, musiciennes et lettrées. L’une des deux fut un poète illustre, et il nous reste de précieux fragmens de ses poésies. De sa vie l’on sait peu de chose. Le nom de son père est incertain ; sa mère s’appelait Cléis, et elle eut une fille qui porta le même nom. Souvent, chez les Grecs, les petits-fils ou petites-filles prenaient le nom de leurs aïeuls. Elle perdit son père à l’âge de six ans ; elle conserva peut-être sa mère plus long-temps, si c’est à elle qu’étaient dressés ces vers :

« Ma douce mère, je ne puis du tout travailler à ma toile,

Étant accablée du regret de ce bel adolescent à cause de la tendre Vénus. »

Elle eut deux frères, Charaxe et Larique. Elle fut mariée (mais nous avons dit que peut-être ce mot n’avait pas une signification bien précise) avec un homme riche d’ Andros, nommé Cercolas, et elle en eut cette fille nommée Cléis, à laquelle se rapporte le fragment suivant

« Il ne nous sied pas ; ou ne doit point entendre pleurer dans une maison qu’habitent les Muses. »

Sappho, née en 612 avant notre ère, florissait vers 590 ; par conséquent, elle était contemporaine d’Alcman, de Stésichore, d’Anacréon, de Simonide de Céos, d’Ibycos et d’Alcée, né comme elle à Mitylène, et qui s’éprit pour elle d’un amour malheureux. Aristote, dans sa Rhétorique, nous a conservé les vers par lesquels elle le repoussait : « Je voudrais parler, avait dit Alcée, mais la honte me retient. » Sappho répondit :

« Si ta pensée était pure et honorable, et si ta bouche n’allait pas s’ouvrir pour le mal, la honte ne serait pas sur ton visage, et tu ne craindrais pas de parler selon l’honneur. »

Au reste, ils se réconcilièrent, et elle lui accorda son amitié, sinon son amour. Il est vraisemblable qu’Anacréon ne vit jamais Sappho, quoiqu’on le lui ait donné pour amant[1], ainsi qu’Hipponax et Archiloque. Jusqu’à quelle époque vécut-elle ? C’est ce que n’établit aucun témoignage ; car le mot plus âgée, qui se trouve dans un fragment, est trop vague pour qu’on en puisse rien inférer :

« Eh bien ! si tu es mon ami, cherche une couche plus jeune que la mienne ; Car je ne puis recevoir tes embrassemens, moi qui suis plus âgée que toi. »

  1. Sans doute à cause de ces vers :
    « Ô muse au trône d’or ! tu as dicté cet hymne qu’a chanté agréablement l’aimable vieillard de Téos, ce bon pays aux belles femmes. »