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Sappho ne parle ici que relativement, si tant est que, dans ce fragment (nous le disons une fois pour toutes), elle parle pour elle-même. On dit qu’elle conspira avec Alcée contre Pittacos, tyran de sa patrie, dans le sens que les anciens donnent à ce mot ; qu’ayant échoué dans cette lutte politique, elle fut bannie et alla mourir en Sicile, et que les Siciliens, admirateurs de son génie, lui élevèrent une statue.

Quant à sa mort volontaire par désespoir d’amour ; on sait ce que raconte la légende poétique. Au midi de l’île de Leucade, dans la mer Ionienne, était un cap dont le pied se hérissait de brisans. Une tradition conseillait aux amans malheureux de se précipiter de ce cap dans la mer ; ceux qui ne périssaient pas étaient guéris de leur amour. Sappho, éprise du beau Phaon et dédaignée de lui, vint au cap de Leucade et tenta la terrible épreuve. Elle monta sur le rocher escarpé qui s’avançait au-dessus des flots, elle chanta un dernier chant, l’ode à Vénus peut-être, ce cri d’une ame déchirée, puis elle se précipita.

C’est à l’autre Sappho que Suidas et Photios, d’après Athénée, veulent faire honneur de cette mort. Cette autre Sappho, née de même dans l’île de Lesbos, mais à Éresos et non à Mitylène, était une courtisane, joueuse de lyre, qui vécut plus tard. Suidas, après avoir rapporté sa mort en deux mots d’une concision lexicographique, elle se noya, ajoute, ce qui montre bien qu’il la distingue de la première : « Quelques-uns lui ont attribué aussi des poésies lyriques. » On a trouvé une médaille à l’effigie et au nom de Sappho Érésienne. — Cependant Ovide et bien d’autres rapportent à la première Sappho et cet amour et cette mort.

Quelle que soit celle des deux Sappho qu’on veuille faire périr ainsi, les légendaires n’ont pas considéré que le voyage est long de Lesbos à Leucade : avant de l’avoir achevé, la première eût changé d’idée, la seconde eût changé d’amant. Peut-être est-ce à une autre Sappho encore que la légende de Phaon doit être rapportée. Ce nom de Sappho était très commun parmi les Lesbiennes, et surtout, après que l’une d’elles l’eut illustré, ce fut sans doute à qui le porterait ; puis les poètes mêlèrent les aventures de toutes ces Sappho et attribuèrent à une seule ce qui se rapportait à plusieurs.

Un fait constant, c’est que Sappho fut formée dans une école de Lesbiennes, ou en forma une : on nomme quelques-unes de ses élèves ou de ses compagnes de poésie et d’amour. Pourquoi donc cacher ce qui paraît évident ? C’est que Sappho, élève ou chef d’une de ces écoles, Sappho, musicienne et poète, Sappho, voluptueuse et passionnée, fut une courtisane, — dans l’acception la plus relevée de ce mot, — non pas comme l’autre Sappho, qui n’était qu’une joueuse de lyre, mais une courtisane comme Laïs, comme Phryné, comme Aspasie. Qu’on n’objecte pas son mariage apparent ou réel ; ne dit-on pas aussi qu’Aspasie fut la femme de Périclès ? Il ne faut pas altérer la vérité par amour de