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Quant à Sappho, si elle chanta beaucoup d’hyménées, elle ne paraît pas, pour son compte, avoir beaucoup fêté l’hymen. Elle que nous avons vue tour à tour, avec autant de passion, amante, mère, amie, poète, — et républicaine, s’il est vrai qu’elle conspira et se fit bannir avec Alcée, — nulle part ne se montre épouse. Elle aimait aussi beaucoup ses deux frères, et nous savons par Hérodote les réprimandes affectueuses qu’elle faisait à l’un d’eux pour le tirer des mains d’une certaine courtisane avare et rusée ; mais son mari, le père de sa petite Cléis, dans aucun des fragmens nous ne le trouvons nommé. Aussi, pourquoi s’appeler Cercolas ? Au reste, elle fut veuve de bonne heure. Et Phaon, après tout, en admettant que la légende de Phaon se rapporte à notre Sappho, n’est pas nommé non plus dans les vers qui nous sont parvenus. Faut-il en conclure qu’elle n’aima point Phaon et qu’elle n’aima point son mari ? Peut-être qu’elle les aima tous les deux.

En regard des épithalames et des chants d’amour, nous trouvons quelques épitaphes et quelques graves pensées :

« Ici est la cendre de Timas, morte avant l’hymen.

« Au lieu de la chambre nuptiale, la sombre demeure de Proserpine la reçut.

« A sa mort, toutes ses compagnes firent tomber avec le fer rapide leur gracieuse chevelure sur son tombeau. »

« …Oui, mourir est un mal ; s’il n’en était pas ainsi, les dieux aussi mourraient. »

Et cependant la vie est-elle un bien ? — Non, répond une autre épitaphe :

« Au pécheur Pélagon. Son père Mnèsiscos a fait mettre sur son tombeau ce filet et cette rame en souvenir de sa misérable vie. »

On voit là une nuance nouvelle de cette poésie. Sappho a quelquefois l’accent des gnomiques :

« La richesse sans la vertu, dangereux hôte ; mais le mélange de la vertu et de la richesse, c’est le suprême bonheur. »

C’est ce qui explique que l’on trouve chez elle quelques proverbes :

« Ne remue pas les tas de pierres… » « Chez moi ni miel ni mouche à miel. »

On y rencontre aussi quelques fragmens d’élégie :

« Le bel Adonis expire, ô Cythérée ! que faire ? Frappez votre sein, ô vierges ! et déchirez vos vêtemens.

Elle avait composé encore des hymnes, des chansons et des épigrammes. Ses poésies formaient neuf livres. Que de regrets pour nous ! on vient de voir ce qui en reste[1].

  1. Afin que cette étude contienne tous les fragmens de Sapho connus jusqu’à ce jour, j’ajoute ici ceux que je n’ai pas insérés dans le texte. Je ne laisse de côté que quelques mots détachés ou frustes dont le sens est incertain, et une épigramme (inscription) sans intérêt :
    « J’ai conversé en songe avec la déesse de Cypre… »
    « Et toi, beau serviteur, amour !… venant du ciel dans un habit de pourpre… »

    … Cupido
    Fulgebat crocea candidus in tunica. —

    (CATULLE, 68.)
    «  Plus amoureux que Gello elle-même !… »
    « Pour la fille de Polyanax, bien du plaisir ! »
    « … Ses pieds étaient couverts de lanières brodées, chef-d’œuvre de la Lydie. »
    « … Le cratère était mêlé d’ambroisie : Mercure prit un vase pour verser aux dieux. »
    « … On dit qu’un jour Léda trouva un rouf enveloppé de bandelettes de couleur d’hyacinthe. »
    « … Mars se retira, ayant menacé d’emmener vulcain de force. »
    « … Ce portier a des pieds de sept aunes ; ses semelles sont faites de cinq peaux de boeuf, et sont l’ouvrage de dix cordonniers. »
    « … Celui qui est beau sera bon, celui qui est bon sera beau. »
    « … A vous qui êtes belles, à vous ma pensée, ma pensée fidèle à jamais ! »
    « … Venez ici, Graces voluptueuses, Muses à la belle chevelure… »
    « … Et vous, chastes Graces aux bras de rose, venez, filles de Jupiter. »
    « … Non, jamais, dans aucun temps, une jeune fille mieux douée pour la poésie ne verra la lumière du jour. »
    « … Messager du printemps, rossignol aux chants harmonieux ! »
    « … Et toi, fille de Pandion, hirondelle aimable, que me veux-tu ? »
    « … Ainsi les Crétoises autrefois agitaient on cadence leurs pieds légers autour de l’autel d’amour, et foulaient mollement la fleur du tendre gazon. »
    « … Des lentilles d’or poussaient sur les rivages. »
    « … Leur cœur s’est glacé, ils laissent tomber leurs ailes. »
    « … Un noir sommeil se répand sur leurs yeux et les tient pendant la longue nuit. »