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térêt personnel donner à ses mœurs leur fâcheuse empreinte. Ce n’est pas la première fois que nous signalons ces inconvéniens. Quand l’année dernière, à la vue de la grosse majorité que l’urne électorale venait de donner au parti conservateur, quelques personnes avançaient que désormais il n’y aurait plus de débats politiques, mais seulement des questions d’affaires, nous disions que les débats politiques ne tarderaient pas à reparaître, et qu’il serait très fâcheux qu’ils pussent être supprimés par la prépotence d’un matérialisme uniquement préoccupé d’intérêts pécuniaires. Nous n’avons donc jamais flatté l’industrialisme dans ses prétentions immodérées ; mais, quand nous entendons des hommes de parti envelopper dans une réprobation sans réserve les actes et les mœurs de la France de 1830, et en dénoncer au monde la corruption monstrueuse, nous considérons comme un devoir de signaler tout ce que ce langage a d’inexact et d’excessif. C’est surtout dans la bouche des hommes qui jusqu’à présent n’avaient pas marché d’accord avec les partis extrêmes, que ce langage a le droit de surprendre. Dans leur ardeur pour faire la guerre au cabinet, ils ne se sont pas aperçus qu’ils dépassaient le but. Ce n’est pas sur le ministère que retombent leurs accusations, mais sur le pays, mais sur ces classes moyennes à la tête desquelles ils sont eux-mêmes placés. S’il était vrai que ces classes fussent si corrompues, que deviendrait la France ? Heureusement il n’en est rien : non, la France n’est pas la proie exclusive du mal ; loin de là : les bons instincts, les nobles tendances, les sentimens généreux, l’emportent sur l’égoïsme et les mauvaises convoitises. Qu’on compare les opinions des générations nouvelles avec celles des hommes qui étaient jeunes au temps du directoire, et l’on verra de quel côté est la délicatesse du sens moral !

Toutefois il ne faut pas se dissimuler que les exagérations que nous combattons, si dénuées qu’elles soient de fondement, ont leurs dangers. Les hommes éclairés, les hommes de bonne foi que n’aveugle pas l’esprit de parti en reconnaissent le néant, mais combien d’autres les répètent sans se donner la peine de les contrôler ! D’ailleurs, quand des partis crient bien haut qu’ils ont le monopole de la probité, quand ils mettent avec ostentation la vertu à l’ordre du jour, ce langage a une apparence de désintéressement qui peut finir par leur donner quelque autorité. Il ne faut donc pas que les représentans du pouvoir se laissent aller à trop dédaigner certaines déclamations, à penser que là où il n’y a point une exacte vérité dans les choses, il n’y a point de péril. L’erreur serait grande ; elle serait elle-même un nouveau danger. Lorsque des philosophes observent et jugent les choses humaines du fond de leur retraite, ils peuvent se renfermer dans une sorte de mépris contemplatif qui ne saurait convenir à des hommes politiques. Ceux-là sont obligés de s’émouvoir un peu plus de ce qui se dit et se passe autour d’eux. Le véritable rôle du gouvernement est de faire avec une sage mesure la part de l’exagération et celle de la vérité, celle des inquiétudes légitimes de l’opinion et celle des déclamations de l’esprit de parti. Des faits qui se sont multipliés d’une manière fâcheuse ont concouru à établir la conviction que quelques fonctionnaires avaient manqué à la première obligation de l’homme public, aux lois d’une stricte probité. Non-seulement il faut que le gouvernement se montre plus empressé que personne à constater la vérité dans les cas qui ont été signalés, mais il doit, par la sévérité de sa vigilance, par la fermeté de son langage, faire un appel énergique, chez ses agens, à ce que