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qui occupait la rive opposée ne laissait pas le territoire libre, on regarderait la guerre comme déclarée, et que le général Taylor demeurerait responsable des conséquences de l’invasion. Là-dessus l’entrevue se termina. La ferme attitude du parlementaire mexicain fut entièrement approuvée par le général Mejia. Le commandant de Matamoros alla même jusqu’à refuser de recevoir la communication écrite qu’un parlementaire apporta pour lui quelques instans après ; il était bien convaincu en effet que cette communication ne faisait que reproduire les assurances données de vive voix au général Vega.

Cependant la conférence de Worth et de Vega n’avait pas été tout-à-fait inutile pour le général Mejia. En dépêchant Vega à la rencontre de Worth, Mejia avait espéré donner à la division d’Ampudia le temps d’arriver ; il se promettait alors d’écraser Taylor, livré à ses propres ressources, — Taylor, écrivait le général mexicain dans ses lettres officielles, plus méprisable que le dernier tailleur[1]. La plupart des renforts attendus par Mejia arrivèrent bientôt en effet. Le corps d’armée de Tampico, la division du général Pedro Ampudia, déjà tristement célèbre par le rôle qu’il avait joué dans les massacres de Tabasco, vinrent se joindre à lui. Toute l’armée mexicaine allait sous peu de jours se trouver réunie en face de l’ennemi. Le commandement en chef des troupes fut donné au général Mariano Arista, ancien compagnon d’armes du général Santa-Anna. Certes, si la valeur personnelle, la bravoure du soldat, devaient tenir lieu, dans un général en chef, de toute autre vertu, le commandement n’eût pu être confié à des mains plus dignes que celles de cet officier, intrépide cavalier, soldat infatigable ; malheureusement quelques soupçons planaient sur le patriotisme d’Arista. Tel est le triste sort de la république mexicaine, qu’elle renferme dans son sein tous les germes de dissolution.

Pendant qu’aux troupes commandées par Arista s’ajoutaient chaque jour de nouveaux renforts, de nombreuses désertions affaiblissaient, au contraire, l’armée américaine. La position de cette armée au campement de Santa-Isabel était plus précaire encore qu’à Corpus-Christi. Une moitié des forces de Taylor se trouvait occupée à maintenir l’autre et à tirer sur les déserteurs qui traversaient le fleuve à la nage pour se joindre à l’armée ennemie. Des deux côtés, il devenait impossible de persister dans un système d’inaction, lorsqu’on apprit dans les derniers jours d’avril que, le chargé d’affaires des États-Unis à Mexico, M. Slidell, ayant demandé et reçu ses passeports, la guerre commencée de fait par le mouvement de Worth et de Taylor sur Matamoros était enfin officiellement déclarée.

  1. Taylor veut dire tailleur, et le mot de castre est pour le Mexicain une épithète d’un mépris écrasant.