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au centre et placer son artillerie à l’avant-garde, Taylor se prépara à combattre. L’armée mexicaine était étendue devant lui en une longue ligne sans profondeur, sans réserve, et qui formait comme la corde du segment de cercle tracé par les troupes américaines. Une partie de la journée avait été consacrée à prendre ces dispositions. Déjà il était deux heures. Le moment était venu où, dans les pays du sud, la nature s’affaisse sous le vent brûlant, dont les rafales traversent l’atmosphère comme des flèches de feu. Un moment de silence solennel succéda à la confusion des premières manœuvres. On pouvait, au milieu de ce calme momentané, entendre le souffle du vent dans les grandes herbes qui couvraient la plaine et le murmure des bois qui abritaient la ligne des chariots américains.

Le général Arista n’attendait plus, pour engager l’action, que l’arrivée d’un régiment d’infanterie qu’on devait lui envoyer de Matamaros. Dès qu’il vit reluire au soleil les baïonnettes de ce régiment, il donna le signal, et un coup de canon, parti du centre de l’armée mexicaine, annonça que le combat commençait. Les Américains dirigèrent aussitôt toutes leurs batteries contre le renfort dont l’arrivée venait de mettre un terme aux hésitations d’Arista, et ce ne fut qu’après avoir semé la plaine de morts que ce malheureux régiment put entrer en ligne à la gauche de l’armée mexicaine. Le feu commencé contre lui se tourna dès-lors contre l’aile gauche tout entière. Les soldats mexicains, dont ce feu meurtrier éclaircissait les rangs, restaient à leur poste, immobiles et formés en ligne, sans pouvoir seulement décharger leurs armes sur un ennemi placé hors de leur portée. Tandis que la droite s’agitait vainement pour faire taire les batteries américaines, la gauche ne bougeait pas au milieu des morts qui s’entassaient. Les cris répétés de : Viva Mexico ! viva la independencia ! se mêlaient, pendant les courts silences de l’artillerie, aux roulemens des tambours et aux fanfares de plus en plus affaiblies des clairons. Les Américains, voyant qu’il suffisait d’un dernier coup pour avoir raison d’un ennemi déjà vaincu pour ainsi dire par le désavantage de sa position, eurent recours à une ruse de guerre qu’ils ont apprise des Indiens, et qui leur est familière. Vers quatre heures, c’est-à-dire deux heures après le commencement de l’action, une épaisse fumée couvrit toute la gauche de Taylor. Des barils de goudron, à l’aide desquels les Américains avaient mis le feu aux herbes desséchées qui couvraient la plaine, produisaient cette fumée, assez épaisse pour dérober complètement leur manœuvre. On aurait pu croire que les Américains avaient battu en retraite, si le rideau noirâtre n’avait été troué, à intervalles égaux, par le feu des canons. Enfin, la fumée s’affaissa et laissa voir une batterie avancée, dont les boulets vinrent de nouveau décimer les soldats mexicains, qui, toujours paralysés dans leurs mouvemens,