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venue, l’officier mexicain répondit, en termes d’une courtoisie étudiée, que son excellence le général Santa-Anna l’envoyait demander au général américain ce qu’il comptait faire. « J’attends qu’il se rende, » répondit rudement Taylor sans changer d’attitude. Les deux généraux étaient quittes en fait de sommations, et tous deux se préparèrent pour le combat. Ce ne fut cependant qu’à trois heures de l’après-midi que les escarmouches recommencèrent, car Santa-Anna hésitait, on le conçoit, à attaquer un ennemi si bien protégé par sa position. Aussi toute la journée se passa-t-elle en manœuvres insignifiantes et en canonnades plus bruyantes que meurtrières.

Le 23, la plaine d’Angostura, cette espèce de désert coupé de ravins et hérissé de nopals épineux, présentait, sous un ciel bas et pluvieux, un aspect plus triste encore que de coutume. D’épais nuages s’amoncelaient au sommet des mornes, et ne tardèrent pas à se fondre en pluie. Aussitôt cette brillante armée mexicaine se précipita vers les filets d’eau fangeuse qui serpentaient dans les rides du terrain. On oublia un moment l’ennemi pour ne songer qu’à étancher une soif dévorante. A dix heures du matin, le combat recommença, et ce fut cette fois avec un véritable acharnement. La pluie tombait toujours à flots pressés, et rendait plus dangereux encore pour les hommes et les chevaux le terrain, déjà si inégal. Une partie de l’armée américaine quitta sa position pour s’avancer au-devant des Mexicains, dont les munitions de mauvaise qualité étaient devenues presque inutiles sous l’eau qui tombait L’infanterie mexicaine s’ébranla à son tour, et donna, la baïonnette au bout du fusil. Elle réussit à mettre en déroute la brigade d’Indiana, qui avait déjà hésité à marcher. D’un autre côté, la cavalerie de Santa-Anna chargeait les riflemen du Mississipi en poussant ces cris d’attaque familiers aux combattans des deux nations. Les Américains répondirent à ces cris par de sauvages hourrahs. Les riflemen mirent un genou en terre au premier rang, une détonation couvrit leurs hourrahs, et autant de cavaliers mexicains tombèrent qu’il y avait de riflemen en ligne. On lutta ensuite corps à corps, et la plaine fut bientôt jonchée de cadavres.

Posté à l’endroit où la veille il avait reçu le parlementaire mexicain, toujours indolemment courbé sur le dos de son cheval blanc qu’on distinguait de si loin, le vétéran américain Taylor suivait, la lunette à la main, les diverses phases de la bataille. Il vit le général Woll, à qui il avait confié le détail des opérations, s’avancer à son tour avec le gros de l’armée contre les Mexicains ; c’était au moment où ses riflemen et les cavaliers de Santa-Anna étaient aux prises. Il vit le corps d’armée de Woll hésiter, chanceler, puis se retirer. Comme Taylor donnait à des troupes fraîches l’ordre d’aller soutenir Woll, une balle traversa son habit brun. Par une coïncidence bizarre, Santa-Anna tombait