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d’aventures, il enfonce involontairement un aiguillon dans le cœur de ce mari incertain ; car, entre toutes ces ruses dont le souvenir flatte la vanité de don Luis, il en est une que sa femme vient peut-être d’employer avec lui. Don Luis se met à la place de celui qu’il trompa autrefois ; cette analogie le poursuit et l’irrite, et de la tendresse confiante il passe soudain au doute injurieux, à l’inquiétude violente et à l’effroi ; il se torture de ses propres mains. Une citation fera juger du mouvement de cette scène, où la pensée de la comédie est si vivement indiquée dès le premier moment :


« Juan. — Ah ! Luis ! combien avons-nous fait de victimes ! Dis-moi, te souviens-tu de cet intendant ?…
Luis, souriant. — Don Gabriel, celui qui jouait au bis-bis.
Juan. — Et sa femme, comme elle t’aimait !
Luis — C’était un volcan.
Juan. — Lui, l’homme simple, il répétait toujours : « C’est vraiment extraordinaire que cette Henriette soit si froide ! »
Luis, riant. — Pauvre diable !
Juan. — Et tes amours avec la blonde… Quel est donc son nom ?
Luis. — Maruja !
Juan. — Et sa camériste…
Luis. — Oui, la Dolorès ; tous les jours, plus ponctuelle que le soleil, elle arrivait à la même heure avec une lettre de sa maîtresse.
Juan. — As-tu du moins conservé cette bague qu’elle te donna à la barbe de son mari ?
Luis. — Celui-ci n’était pas commode pourtant.
Juan. — Mais elle savait si bien l’apprivoiser ! quelles caresses elle lui faisait !
Luis. — Comme elle savait avoir des attaques de nerfs !
Juan. — Et lorsqu’elle allait à la messe tous les matins, sans manquer, il se contentait de dire : « Ma Maruja est bonne chrétienne ! » Mais, de toutes tes aventures, la plus amusante est celle que tu eus avec cette femme…
Luis. — Oui, Rosa !
Juan. — La figure la plus angélique et l’ame d’un démon.
Luis. — Quelle aventure donc ? Lorsqu’elle me donna un rendez-vous par le journal ?
Juan. — Non, ce n’est point cela.
Luis. — Lorsqu’elle me cacha dans ce cabinet ?
Juan. — Non, cela arrive à tout le monde ; — c’est cette ruse habilement ourdie pour te faire présenter à elle par son mari, dans sa maison même.
Luis, changeant de couleur. — Oui, oui, le mari lui-même…
Juan. — Quoi ! ne te souviens-tu pas ?
Luis. — Si, je me souviens très bien.
Juan. — Et celui-là n’était pas un sot ; non, au contraire, c’était un homme du monde, et habile encore…
Luis. — C’est vrai, un homme du monde.
Juan. — Mais, que veux-tu ? le savoir-vivre ne suffit pas…
Luis, inquiet. — Pourtant, ou je me trompe fort, ou ce mari était un honteux