l’éclat, à la domination, puis laissant retomber sur lui-même son brillant édifice. Qu’on imagine les obstacles renaissant à chaque heure sous les pas de celui qui n’est rien, les dédains dont il se sent l’objet et à côté les protections secrètes qui l’aident à monter, les passions cachées qui lui communiquent leur force et donnent l’impulsion à son génie, les adulations qui l’entourent à mesure que sa faveur grandit ou qui s’éloignent à mesure qu’elle décline, les rancunes qu’il soulève, soit en évinçant des rivaux d’une naissance supérieure, soit en s’émancipant de la tutelle amie de ceux qui ont servi son élévation. N’est-ce point la source la plus abondante où il soit permis à un poète comique d’aller puiser ? Aussi Rubi a-t-il cherché à peindre tout ce monde, — le courtisan flexible toujours en quête du soleil levant, le gentilhomme orgueilleux, la camarera hautaine et vindicative lorsque tout ne se plie pas à sa volonté capricieuse, le solliciteur délié et infatigable toujours prêt à mendier, l’ambitieux tenace, et enfin celui à qui l’intérêt s’attache entre tous, l’homme qui s’élève par sa propre valeur, et qui, parvenu au faîte, se laisse, lui aussi, quelquefois éblouir. — La Roue de la fortune s’ouvre par un tableau d’une simplicité originale. C’est dans un village de la Rioja ; on se trouve chez un laboureur vivant dans l’aisance, estimé de tous, généreux et indépendant, dont la maison hospitalière a reçu un grand seigneur, le comte de San-Tello, exilé de la cour avec sa fille doña Clara. Le laboureur et ses hôtes mènent une vie commune, et ce serait pour lui une injure que de vouloir lui payer son hospitalité. San-Tello et doña Clara sont à ses yeux de nouveaux membres de sa famille. Cette communauté d’une vie simple et franche, bien qu’elle pèse parfois à l’orgueil du courtisan disgracié, ne semble pouvoir engendrer aucun orage ; elle couvre cependant un danger qui va éclater. Un amour énergique, alimenté de tout le feu de la jeunesse et accru encore par la familiarité des habitudes, unit déjà secrètement doña Clara et Zenon, le fils du laboureur Mauricio. Quoi de plus naturel pour une jeune fille naïve et pure qui n’a point eu le temps d’être gâtée par les cours et pour un jeune homme en qui une éducation supérieure à son état a développé des instincts élevés, des goûts de distinction qui ne demandent qu’à se faire jour ! Mauricio lui-même n’y voit rien d’étrange dans son bon sens, lorsqu’il reçoit la confidence de cette liaison, et il ne trouve d’autre issue qu’un bon mariage ; mais, à cette proposition inattendue, l’orgueil de San-Tello se réveille, une lettre de grace le rappelle d’ailleurs en ce moment même à Madrid, et il repousse presque comme une insulte cette offre qu’on lui fait de déroger à son rang. Il part avec la légèreté de l’ingratitude ; dota Clara le suit en soupirant et en emportant dans son cœur son amour fidèle. Mauricio sent l’offense et l’humiliation, et Zenon, avec la fierté de la jeunesse, avec l’ardeur d’une passion qui as-
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