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pire à se satisfaire et l’entraînement d’un esprit qui se sent appelé à une destinée éclatante, se relève de son premier abattement pour aller chercher une victoire et une vengeance. — La peinture de ce monde rustique, sur lequel une perspective nouvelle vient se lever à la fin, a un charme qu’on ne peut définir, car aussitôt se présente à l’esprit un contraste qui n’a rien de chimérique. Ce jeune homme qu’on voit plein de désirs, doué d’instincts sérieux, amoureux d’une jeune fille et qui s’élance si hardiment vers l’avenir, a bien réellement tenu la promesse que lui prête l’auteur de la Roue de la fortune. C’est de ce monde humble et obscur qu’est sorti l’un des plus grands ministres de l’Espagne au XVIIIe siècle. Ce Zenon de Somodevilla est devenu le marquis de la Ensenada, l’homme d’état qui a voulu délivrer la Péninsule de ce réseau d’impôts dont elle était surchargée en établissant l’unique contribution, et qui a visé pour son pays à l’application d’une politique nouvelle et singulièrement virile après la déchéance du siècle précédent, — la politique de neutralité entre la France et l’Angleterre : gloire brillante et sérieuse dont le poète vous montre l’origine simple et vraie, plus vraie peut-être que l’histoire. Sans doute, aux yeux de l’historien, l’intelligence suffit pour expliquer une fortune subite. La poésie, cependant, ne pourrait-elle pas avoir plus humainement raison ? Parmi tous les hommes qui se sont élevés de rien, par la puissance de leur propre énergie, comme Zenon de Somodevilla, n’en est-il point qui pussent avouer qu’une passion violente, un ressentiment légitime, ont été les premiers principes de leur force et les inspirateurs de leur intelligence ?

C’est à ce point de vue que l’idée de Rubi nous semble naturelle et heureuse. L’auteur marque de son meilleur trait ce départ obscur et sans gloire comme pour mieux faire ressortir l’éclat dont son héros va bientôt être environné. On dirait qu’il oppose d’avance et de dessein prémédité ce tableau de paix rustique aux agitations que Zenon va affronter, et où il laissera plus d’une vertu, plus d’une espérance, plus d’un rêve désintéressé et généreux. Nous ne voulons pas soumettre la Rueda de la fortuna à une minutieuse analyse, noter pas à pas les incidens qui se succèdent, suivre le mouvement rigoureux des scènes. Il suffit d’observer un instant le développement des caractères pour entrevoir l’action dans les deux parties de l’œuvre de Rubi. L’un des plus saillans personnages est la marquise de Torrecuso, dont la figure domine l’une et l’autre de ces comédies qu’un même titre réunit. Maîtresse de tous les secrets de palais, portant une dextérité hardie dans les secrètes négociations politiques, sachant cacher ses passions sous des motifs avouables, douée au plus haut point de cette science du monde qui ne consiste souvent qu’à intriguer avec grace, toujours femme de cour en un mot, la marquise de Torrecuso apparaît cependant sous un