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aujourd’hui et flatte le peuple sous le nom de tribun ; le dévot est devenu philanthrope et humanitaire ; l’oisif tapageur s’est fait factieux et patriote ; le fils de famille court les emplois ; l’artisan et la manola s’appellent citoyens libres et peuple souverain. » N’y aurait-il pas plus d’un autre trait applicable à l’Espagne ? Pourquoi l’auteur a-t-il oublié ces spéculateurs sortis on ne sait d’où, rois de la bourse qui daignent être ministres, ces ambitieux qui savent se tenir en équilibre entre tous les partis, et, à côté du pauvre diable aspirant à être peuple souverain, les grands qui abaissent leur race et donnent le spectacle de leur folie ou de leur imbécillité ? Ainsi, ce n’est point la matière qui manque à la comédie, ce n’est pas non plus la liberté ; mais l’esprit facile et élégant suffit-il pour donner la vie à ce tableau ? Il faudrait l’ironie acérée et inventive d’un Aristophane pour flageller les vices modernes en les personnifiant ; il faudrait une main vigoureuse pour « rebrasser ce sot haillon qui couvre les mœurs, » selon le langage de Montaigne. Tel est le progrès qu’aurait à accomplir l’art comique espagnol pour briller d’un éclat certain. Il y a dans toutes les révolutions littéraires un moment grave et décisif où il faut passer des essais, quelque heureux qu’ils aient pu être, à la réalisation plus nette et plus franche de la pensée d’une époque : les hommes d’esprit ont fait leurs essais dans la comédie en Espagne ; mais l’homme de génie viendra-t-il ?


Ch. de Mazade.