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et d’effets qui a amené l’Angleterre à cette espèce de nécessité politique et sociale sous le coup de laquelle elle se trouve aujourd’hui plus que jamais ; Que l’on se rappelle qu’au XVIe siècle Érasme ne voyait dans Londres à peu près qu’une « capitale de sauvages ; » qu’au XVIIe siècle l’empire anglais, réduit aux îles Britanniques, n’avait encore ni unité, ni lien, ni cohésion, ni force d’expansion, et que la cour de Charles II était réduite à se faire subventionner par la cour de France. Que l’on songe ensuite qu’au bout d’un siècle ce peuple, devenu un sujet d’observation pour toute l’Europe par sa science industrielle et commerciale, était le facteur et le banquier des nations, plus encore, l’arbitre de la paix du monde, et l’on s’expliquera facilement pourquoi une telle étude est si intéressante. Mais ce n’est pas seulement au point de vue des résultats atteints que la situation actuelle de l’Angleterre est digne de l’attention la plus sérieuse, c’est aussi et c’est surtout au point de vue du problème terrible qu’elle contient, au point de vue de cette condition fatale dont nous parlions tout à l’heure. Rien ne peut mieux nous éclairer à cet égard que l’histoire des trente dernières années, histoire éminemment curieuse en ce sens qu’elle nous apprend que l’Angleterre n’est pas dans un état de choses moins violent à l’heure qu’il est, au sein d’une paix profonde, que dans le temps où elle alimentait la ligue de l’Europe en armes contre la république et l’empire français.

L’ouvrage de M. de Beaumont-Vassy commence à l’instant où Napoléon est déporté à Sainte-Hélène et nous mène jusqu’aux événemens de ce jour. Les faits que comprend cette période ont des proportions bien moindres que ceux de la période précédente, et les hommes qu’elle met en relief n’appartiennent pas non plus à cette race des Pitt, des Fox, des Sheridan, des Burke, que les Anglais ont nommée la race des géans ; hommes et choses sont d’une moindre taille, et toutefois ce qui s’est passé sous le ministère d’un Castlereagh, d’un Canning, d’un Grey, d’un Peel, fait aussi bien ressortir le caractère particulier de la puissance britannique et les conditions de sa durée, que les gigantesques efforts par lesquels elle s’est signalée à la fin du dernier siècle et au commencement de celui-ci. La politique anglaise reste fidèle à ses traditions dans cette période, et on la voit porter souvent de rudes atteintes aux théories libérales des amis de l’humanité. L’Inde, la Chine, le Canada, le Portugal, l’Irlande, saignent pour longtemps des plaies dont cette politique les a affligés. On a plus d’une fois signalé ce contraste peu édifiant entre la politique de l’Angleterre et ses fastueuses déclamations sur l’abolition de l’esclavage, sur l’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique, sur le libre-échange, Le contraste s’explique en un mot : dans la sphère où s’agitent les puissances de notre Europe toutes pleines de défiance, tout animées de l’esprit de concurrence et de rivalité, l’Angleterre seule ne lutte pas pour un principe, mais lutte pour vivre. De là une physionomie à part, de là une politique variable, égoïste, perfide. Les grands ministres de cette nation diffèrent tous d’allure entre eux ; mais tous n’ont qu’un but qui peut s’expliquer par le mot du moyen-âge : gaigner, et, en effet, il ne faut pas peu gaigner pour subvenir aux besoins d’une société qui a au-dessus de sa tête la plus opulente aristocratie qu’ait vue le monde. Cette société est avide, parce que son régime antérieur lui a donné une grande activité, de grands appétits et de grands organes.

Néanmoins, comme le fait remarquer M. de Beaumont-Vassy, le peuple anglais a « des idées puissantes et des sentimens généreux, » et il est « vraiment digne de marcher l’un des premiers à la tête de la civilisation. » Oui, cela est