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de cette dernière langue est désormais indispensable à quiconque demande aux manuscrits de l’Inde la solution du grand problème que présente le mythe de Bouddha.

On sait que le propre du génie chinois n’est pas de s’assimiler les idées étrangères ; il en est empêché par son respect pour la tradition et par la nature même de sa langue écrite. Cependant, moins rebelle qu’elle ne le semble au premier aspect à la reproduction des systèmes philosophiques, cette langue s’est approprié dans leur totalité les deux grandes collections qui forment au Thibet plus de deux cents volumes. De studieux Chinois, dignes du titre de savans, se sont appliqués à former, au moyen de la combinaison de groupes phonétiques, des alphabets qui pussent fixer chez eux la prononciation des noms propres de l’Inde et de certaines expressions reçues parmi les adeptes[1]. C’est assez dire avec quel soin les traductions bouddhiques ont été faites ; mais, entre l’idiome de Pé-king et celui de Benarès, il y a un abîme que le plus grand effort de l’esprit humain ne saurait combler entièrement. Il faut un intermédiaire ; on l’a senti en Chine comme en Europe. Les bonzes instruits de la Chine se sont rapprochés des lamas thibétains ; ils leur ont donné asile à eux, à leur langue et à leurs livres ; les érudits qui chez nous ont abordé la lecture des livres chinois-bouddhiques se sont mis en état de consulter les dictionnaires chinois-thibétains rédigés à Pé-king. Les collections mongole et mandchoue offrent, il est vrai, des secours analogues ; l’idiome des descendans de Gengis-Khan surtout, plus cultivé, plus littéraire que celui des souverains actuels du Céleste Empire, a fixé l’attention des académiciens de Saint-Pétersbourg ; ils y ont puisé des documens historiques d’une assez grande importance. Cependant, pour ce qui regarde les ouvrages religieux, les bonzes de la Tartane se soumettant eux-mêmes à la direction de leurs confrères du Thibet, et recevant de Lhassa l’instruction orale et écrite, il faut bien reconnaître avec eux la nécessité de s’en référer, sur tous les points difficiles, à la version qui fait loi parmi les fidèles, et c’est encore celle qui conserve le caractère canonique à travers tant de nations, la version thibétaine.

Comme langue, il y aurait erreur à placer bien haut cet idiome des montagnes peu assoupli, qui s’écrit d’une manière et se prononce d’une autre ; il y aurait témérité à le comparer avec ceux qu’une culture plus variée a rendus si riches et qui ont régné sans partage sur des populations innombrables. Nous avons seulement cherché à établir quelle est l’utilité de la langue thibétaine dans un certain ordre d’études, à démontrer qu’elle mérite d’être appréciée, parce qu’elle est celle de la

  1. M. Stanislas Julien s’est occupé sérieusement de l’étude comparée de ces alphabets, qui seront d’un grand secours non-seulement pour l’histoire du bouddhisme, mais encore pour l’intelligence des nombreux ouvrages de géographie que nous ont laissés les Chinois.