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liturgie d’un culte professé aujourd’hui encore par près de deux cents millions d’hommes. Elle peut même fournir son contingent de documens historiques ; nous avons dit en commençant qu’il existe au Thibet des livres qui traitent de la religion primitive du pays ; il s’y trouve aussi des chroniques anciennes, et ces ouvrages, on a lieu de l’espérer, arriveront bientôt en Europe. Deux missionnaires français, partis de Pé-king, ont déjà pénétré, l’année dernière, dans la capitale du Thibet. Mêlés aux trois mille hommes qui composaient la dernière ambassade revenue de la Chine, et perdus dans cette foule, ils étaient arrivés à Lhassa sans passeports, sans recommandation. Accueillis sans défiance par les lamas, qui discutaient volontiers avec eux sur la théologie, ils ont été reçus par le régent qui dirige les affaires religieuses et civiles pendant la minorité du jeune patriarche. Un séjour de plusieurs mois au sein de ce pays mystérieux, de cette société théocratique, leur a permis d’apprendre la langue usuelle, et de recueillir sur les mœurs des montagnards plus d’une observation curieuse. Malheureusement le commissaire chinois, prenant ombrage de la présence de deux étrangers dans une province tributaire, leur intima l’ordre d’évacuer le Thibet. Ces hommes pleins de courage et de zèle, qui venaient de traverser en plein hiver les steppes de la Tartarie, travaillant de leurs mains pour gagner de quoi se nourrir, pareils à des mendians, furent donc dirigés sur Pé-king, et reconduits à peu près de brigade en brigade, comme des vagabonds, d’une extrémité à l’autre du Céleste Empire. Cependant le régent avait témoigné du regret de leur départ ; les missionnaires d’ailleurs n’ont pas l’habitude de se décourager pour si peu de chose. L’un d’eux s’embarqua immédiatement pour la France ; il lui a été donné, au milieu de sa carrière, de revoir sa patrie et de se reposer quelques instans après tant de fatigues et de périls. Dans peu de mois, il reprendra la mer, muni de nouvelles instructions, pour aller rejoindre celui qui a déjà partagé ses travaux. Tous les deux ils iront de nouveau s’établir dans les montagnes du Thibet, d’où ils adresseront à nos bibliothèques les livres impatiemment attendus, tout comme ils ont reçu jusqu’au fond de l’Asie les grammaires qu’on leur envoyait de Paris même. Quand il existera entre les savans d’Europe et la patrie du lamaïsme des relations suivies, les questions que la lecture des textes ne suffit pas à résoudre obtiendront alors une réponse, et la science marchera plus vite. On saura si autour de la langue la plus importante qui se parle dans cette contrée peu connue ne se groupent pas des dialectes, ce que sont ces dialectes, s’ils possèdent une littérature, et quelles sont les peuplades qu’il convient de classer définitivement dans la famille thibétaine.


TH. PAVIE.