— Moi qui sans vanité ne suis guère en peine de citer mon Ovide : -Sire, répliquai-je, toute joie n’est que nuées, et les hommes sont autant d’Ixions abusés… - Ici le roi m’interrompt, et sifflant : — Laissons cela…, et allons voir nos lions. — Telle est la chance de quiconque se livre à son éloquence devant notre gracieux souverain[1]. »
Jamais violon faux écorcha-t-il mieux vos oreilles que cette poésie familière, bavarde, légèrement ironique, se plaisant aux détails, et si peu grecque, si franchement anglaise ? Browning peut, après tout, invoquer à sa décharge plus d’un illustre exemple. Le Beaumarchais de Goethe et la Jeanne d’Arc de Schiller sont tout aussi bizarrement accoutrés que le Pierre Ronsard du poète anglais.
La fuite d’une jeune duchesse allemande, qui, lasse de sa solitude orgueilleuse, se laisse enlever par une tribu de Bohèmes errans[2], et l’histoire bien connue du Preneur de rats de Hameln, — encore que nous préférions de beaucoup la ballade originale, si simple et si rapide, — prêtent moins à la critique, et cela par une raison très évidente c’est que la fantaisie du poète, prenant ici ses coudées franches, se jouait dans cette région vague où tout est vraisemblable et facilement accepté. En revanche, le David chez Saül jure étrangement avec les traditions et le sentiment de la poésie biblique. C’est un air de cithare exécuté sur le cor anglais.
Certaines affectations nous gâtent le talent de Browning, en le montrant préoccupé de recherches puériles, toujours dédaignées de l’artiste qui voit en grand. Entre autres, nous citerons le mauvais goût qui lui fait si souvent placer deux tableaux dans le même cadre, comme si de cette juxtaposition il attendait les plus merveilleux effets, ou comme s’il voulait forcer le lecteur à trouver entre les deux poèmes ainsi rapprochés quelque lien mystérieux, quelque parenté philosophique. L’empoisonneuse et la blasphématrice, dont nous parlions tout à l’heure, sont ainsi reliées, on ne sait vraiment pourquoi, sous ce titre commun la France et l’Espagne (ancien régime). Ailleurs nous avons l’Italie en Angleterre et l’Angleterre en Italie, c’est-à-dire les souvenirs d’un proscrit italien et ceux d’un voyageur anglais, tous deux racontant les impressions qu’ils ont reçues sous le ciel natal ; ailleurs encore le Camp et le Cloître, brusque opposition entre le dévouement enthousiaste du soldat et les haines engendrées à l’ombre des retraites où croupit l’oisiveté monacale. Ici le jeune conscrit impérial vient en souriant mourir aux pieds de son général victorieux ; là, parmi les fleurs et les parfums d’un riche jardin, un moine poursuit in petto d’imprécations venimeuses l’homme que la règle lui commande d’appeler « son