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nommés quebradas. Rien n’est plus misérable que les habitations entassées dans ces quebradas, rides profondes de la montagne, où fermentent toutes sortes de débris impurs. Les maisons, basses et hideuses, collées par un côté au sol, soutenues par l’autre sur des pieux disposés en béquilles, grimpent désordonnées, sans souci du voisinage. Ici une porte s’ouvre sur un toit ; une cheminée vomit des torrens de fumée noire dans une fenêtre ouverte ; là, des cordes tendues supportent des haillons, d’affreuses guenilles ; enfin des sentiers tortueux, rompus et seulement indiqués par l’usage, quelques planches étroites et vacillantes, conduisent à certains bouges où les chauves-souris et les lazzaroni de Valparaiso peuvent seuls pénétrer la nuit. Cette partie de la ville est pourtant l’eldorado des matelots étrangers. Il y a peu d’années encore, l’orgie débraillée y hurlait sans crainte, car la police montrait à l’endroit des quebradas une extrême circonspection ; plus d’un cadavre retrouvé au fond des ravins lui avait appris ce qu’il en coûtait de vouloir soumettre ces quartiers maudits à l’action de la force publique. Quant aux matelots, ce qui les entraîne vers les quebradas, est-il besoin de le dire ? Partout où il existe une ouverture, porte ou fenêtre, on peut apercevoir, assise sur le seuil de l’une, accroupie sur la devanture de l’autre, quelque niña au visage frais et souriant, dont la noire chevelure, ornée de fleurs, descend en flots abondans sur une épaule d’un galbe parfait, puis au second plan, dans l’ombre, une vieille femme ou plutôt une sorcière, au teint hâve, au profil grimaçant, mâchant sans relâche quelque bout de cigare éteint. Une œillade de la jeune fille, un salut de la vieille, accompagnés de cette formule hospitalière : La casa a la disposition de usted, attirent le matelot dans un antre plus dangereux que celui des sirènes ; les rôles d’équipage constatent ce fait en ajoutant aux noms des victimes pour tout commentaire ces quelques mots : Déserté à Valparaiso.

Parmi les cerros qui s’élèvent dans le Puerto, deux méritent surtout de nous arrêter. Tous deux sont couverts de fleurs et d’habitations silencieuses. Une société à part vit sur le premier, qu’on nomme et Cerro alegre ; le second, nécropole de Valparaiso, s’appelle le Panthéon. A peine a-t-on fait dix pas sur le Cerro alegre, qu’on reconnaît aux maisons coquettement peintes, aux parterres embaumés, aux sentiers bordés de verdure, cet amour de l’ordre et du comfortable qui distingue partout les enfans d’Albion. Ici des habitations assez basses pour braver les coups de vent, assez solides pour résister aux tremblemens de terre, recèlent un certain nombre de familles qui ont en quelque sorte transporté la patrie sur le sol de l’Amérique. Ces familles trouvent en elles-mêmes assez de ressources pour former des réunions où les étrangers sont rarement admis. Les joies et les fêtes de Valparaiso retentissent à peine jusqu’au sein de cette paisible colonie ; des intérêts commerciaux