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nombreux et puissans la rattachent seuls à la ville qui bruit au pied de sa montagne.

Le Panthéon de Valparaiso n’est point, comme on pourrait le croire, un lieu de sépulture exclusivement réservé aux citoyens illustres c’est tout simplement un cimetière où la ville dépose ses morts les plus vulgaires, en faisant payer pour les uns un certain droit d’inhumation, en jetant les autres dans des fosses communes, près de la place réservée aux protestans. La porte principale du Panthéon est surmontée d’une petite tour et flanquée de deux galeries basses. Ces constructions remplissent un côté du rectangle qui limite le champ mortuaire, et la façade véritable se trouve à l’intérieur. Dès l’entrée, une atmosphère chargée d’émanations suaves surprend et réjouit l’odorat. La rade azurée apparaît, couverte de navires et sillonnée de barquettes ; puis, à travers une rumeur confuse, l’oreille charmée distingue le chant joyeux des travailleurs et la plainte incessante des flots. Rien n’est moins funèbre que ce cimetière pimpant et fleuri, où gazouille, voltige et folâtre tout un monde d’oiseaux, de papillons et d’insectes. Les sentiers, sablés et ratissés avec soin, séparent des plates-bandes couvertes de tombes coquettes, montrant leur robe blanche sous les rosiers et les chèvrefeuilles ; des rameaux vagabonds couronnent les urnes cinéraires, des guirlandes sont suspendues aux bras des croix. Le cyprès, l’if au feuillage sombre, le saule aux rameaux éplorés, semblent bannis de ce parterre, où les rosiers festonnent les marbres, auxquels ils ont à regret cédé une place. Au milieu de l’allée principale, un cadran solaire, muni d’un canon de cuivre, semble marquer ironiquement les heures de l’éternité.

Du Panthéon, on redescend, par une quebrada tortueuse, à la place de la douane, station ordinaire des fiacres-omnibus, qui parcourent Valparaiso d’un bout à l’autre. Deux rues pavées de galets à la pointe dure et tranchante conduisent à l’Almendral ; l’une borde le rivage, l’autre avoisine la montagne. Dans cette dernière, certaines maisons peu séduisantes ont la prétention d’être bâties à la française, c’est-à-dire sans galeries extérieures ; d’autres ont deux étages, ce qui est presque une témérité sur un sol si fréquemment agité par les tremblemens de terre. L’espace laissé libre entre la mer et les cerros va se rétrécissant peu à peu, et les deux rues, qui se rejoignent comme les branches d’une fourche vers le manche, n’en forment plus qu’une seule bordée de constructions basses. Ici plus de galets, mais en revanche une poussière dans laquelle on enfonce jusqu’aux chevilles ; chaque voiture, chaque cavalier qui passe, la soulèvent en tourbillons, et si, par malheur, vous êtes devancé par un de ces chariots primitifs dont les roues pleines gémissent sur tous les tons, votre infortune est complète ; il faut vous résigner à marcher enveloppé dans un nuage et torturé par les cinq sens à la fois.