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peu disposé à quitter la vie militaire pour la vie méditative. Il veut suivre jusqu’au bout, sans s’effrayer de ce qui l’attend au-delà du terme, cette voie périlleuse des combats dans laquelle il a marché avec gloire, et il avoue franchement, et même en ayant l’air de s’en féliciter, sa profonde ignorance en matière de théologie. « Dieu, dit-il à d’Andilly qui le presse et le fatigue, sans doute, Dieu n’a pas mis en moy les graces qu’il a versées si abondamment en vous… Ma vie a estez tempestueuze et agitée par les choses du monde ausquelles j’ay de jeunesse estez abandonnez. L’armée, où j’ay passé mon aage jusques à mon exil en ce lieu, n’en est pas un à former un homme au devoir d’un chrestien… Le monde néanmoins n’est pas se qui m’empesche ; je le cognois à fond, et en ay un extrême mespris. Mais la vie dans laquelle j’ay estez engagé de jeunesse m’emporte à la mort, sans que mon esprit puisse en changer le chemin. »

D’Andilly ne se décourage point : il tient fort exactement le maréchal au courant de nouvelles du parti janséniste ; il lui envoie tout ce qui paraît contre les jésuites, y compris les Provinciales. Fabert se maintient toujours dans un équilibre parfait, et, tout en déclarant qu’il ne comprend rien aux affaires religieuses, il émet sur ces affaires de fort sages avis. « C’est, monsieur, dit-il à d’Andilly, une chose si ordinaire en France, qu’on néglige celles du devoir de sa profession pour discourir et se mesler mal à propos du faict d’autruy, que vous ne devez pas vous estonner que je me sois laissez aller à vous tesmoigner quelque desplaisir du peu de soing que je veois aux prélatz de faire ce qu’ils doivent. Je n’ai par respect pour vous ozé passer jusques à leur chef (Alexandre VII), qui nous avoit d’abord promis des choses que j’avois peine à me promettre d’une ame que je voyois sy fort esmeüe de son eslévation Je suis mary extrêmement de ne m’être pas trompé, et de veoir l’églize pour long-temps sans les remèdes dont elle auroit besoing. » La corruption des uns, l’indifférence des autres, l’égoïsme du plus grand nombre, le besoin de disputer sur des subtilités lorsqu’il faudrait agir, telle est, suivant Fabert, la véritable cause des maux de la chrétienté. « Chascun, dit-il, cherche à profiter des biens dont regorge l’églize, et, en imitant Rome, l’on veut eslever ses nepveux. Dieu lui-mesme le souffre, ce qui est plus estrange, et qui souvent me mest dans un estonnement duquel j’ay peine à revenir. » L’indigne exploitations des fonctions publiques dans l’unique pensée de satisfaire des ambitions et des intérêts privés préoccupe vivement le maréchal ; il en parle a diverses reprises, et à ce propos il laisse tomber ces belles paroles : « Quant à ce qui est des charges et dignités, je les crois establies pour servir le publicque, et que ceux qui les ont doivent se considérer comme valetz de ceux qu’ils croyent devoir leur obéir en tout. Cette pensée est toujours dedans ma teste, et je ne puis comprendre pourquoi elle n’est