idées, qu’eux seuls nous en transmettent une vivante image ? C’est chose étrange en vérité. N’oublions pas cependant que ces hommes de savoir vivaient presque tous cloîtrés ; eussent-ils été libres, les voyages étaient à cette époque d’une difficulté extrême. Or, sans voyages il n’y a ni comparaison, ni critique, et par conséquent point d’archéologie monumentale. La gravure, seul moyen de suppléer quelque peu aux voyages, n’était alors qu’un interprète infidèle et grossier. L’exactitude dans les copies des œuvres d’art est, comme vous le savez, quelque chose d’aussi neuf en son genre que l’emploi de la vapeur et que les autres merveilles de notre temps. Il ne faut donc pas s’étonner si dans les deux derniers siècles les monumens du moyen-âge ne furent pour personne un sérieux sujet d’étude. Malgré quelques observations ingénieuses et clairvoyantes de l’abbé Lebœuf, j’oserais même dire, malgré les savans travaux de Montfaucon, la lacune fut complète, lacune à jamais regrettable, car il est bien tard pour la combler aujourd’hui.
Nous la comblerons pourtant si nous suivons sans nous détourner la voie prudente et sûre que vous nous avez ouverte. Continuons à observer patiemment les faits, sans esprit de système, avec cette bonne foi qui distingue franchement ce qui est certitude de ce qui n’est que conjecture ; gardons-nous de substituer l’hypothèse à l’observation, et les formes vagues et mystérieuses du sentiment aux lois sévères de l’analyse. Sans doute, en parlant des choses chrétiennes, on s’élève involontairement à un autre langage que s’il était question du monde païen et de son étroit horizon ; mais il ne faut pas que la poésie des mots masque le vide des idées. C’est une science que nous voulons fonder ; quel que soit son objet, il faut, pour qu’elle acquière confiance et crédit, qu’elle repose sur la même base que toutes les sciences, c’est-à-dire sur la méthode scientifique.
Quand nous aurons ainsi accompli notre tâche, ne croyez pas que nous n’ayons obtenu qu’une vaine satisfaction d’esprit ; il en résultera, j’en ai la conviction, de notables profits pour nos études historiques. Il est telle page de nos annales, aujourd’hui presque entièrement effacée, que nous verrons revivre et que nous lirons couramment lorsque notre archéologie aura scientifiquement établi certains faits et les aura rendus incontestables. Connaissons-nous bien, par exemple, quels furent, depuis le VIe siècle jusqu’aux croisades, les rapports de l’Occident avec l’Orient ? À ne consulter que les documens écrits, qui s’aviserait de supposer qu’entre les bazars de Byzance et les comptoirs de Cologne, entre les couvens de la Thessalie et les cloîtres de l’Auvergne ou du Poitou, il existât des relations, sinon toujours fréquentes, du moins jamais complètement interrompues ? Les érudits n’en veulent rien croire, mais les monumens l’affirment, et ce sont eux qui auront raison. Il est bien d’autres problèmes historiques qui s’éclairciront à cette lumière nouvelle ; mais, j’en conviens, ce ne sera pas l’œuvre d’un jour, et le but sera d’autant mieux atteint qu’on aura mis plus de temps et de patience à le poursuivre.
En attendant, nous sommes dès aujourd’hui en possession d’un autre résultat qui a bien aussi son importance, quoiqu’il soit purement pratique : je veux parler des enseignemens et des secours que notre archéologie nous procure pour la restauration des monumens du moyen-âge. Il ne suffit pas en effet d’avoir de l’argent et de la bonne volonté pour prévenir la ruine de certains édifices, il faut encore savoir comment s’y prendre. Si l’artiste ne connaît ni la règle ni l’esprit