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soin, pour se maintenir dans la bonne voie, de rester quelque temps encore soumise à vos paternelles leçons. Deux sortes d’adversaires bien différens peuvent la mettre en péril  : ceux qui ne croient pas en elle et ceux qui y croient trop. Jusqu’ici vous n’avez eu à la défendre que contre le scepticisme, et vous l’avez défendue avec de bonnes armes, c’est-à-dire avec vos exemples, avec vos solides travaux, avec vos excellens essais de classification  ; vous avez, en un mot, prouvé le mouvement en marchant. Aussi les sceptiques ne font-ils plus qu’une ombre de résistance  ; peut-être ne reconnaissent-ils pas encore à l’archéologie du moyen-âge la même importance, les mêmes droits qu’à ces archéologies romaine, grecque, égyptienne, asiatique, dont la légitimité est depuis si long-temps établie  ; ils la croient de moins noble maison et ne lui pardonnent pas complétement son origine, mais ils n’osent plus lui contester son caractère scientifique  ; ils avouent que les observations qu’elle recueille reposent sur une base expérimentale et qu’il peut en résulter d’utiles et sérieuses conclusions. Nous aurions donc cause gagnée si nous n’avions affaire qu’aux incrédules  ; mais les croyans sont là qui, par excès de zèle et avec les meilleures intentions, menacent de tout compromettre. À les entendre, c’est un déni de justice envers l’archéologie du moyen-âge que de la confondre sur le pied d’égalité avec les autres archéologies. Il faudrait lui rendre hommage comme à l’archéologie par excellence, comme à une science supérieure et pour ainsi dire révélée, qui n’a besoin ni de justifier ce qu’elle explique, ni de prouver ce qu’elle affirme.

Avec de telles prétentions on ne tarderait guère à révolter contre l’archéologie du moyen-âge tous les gens de bon sens et ceux-là même qui sont le mieux disposés à reconnaître son autorité. Vous voyez donc combien il importe que vous ne gardiez pas le silence et que vous fassiez justice de ces chimères en établissant clairement quel est le rôle à la fois modeste et sérieux de la science que vous avez voulu fonder.

Son but est tout simplement l’étude des monumens du moyen-âge. À la vérité, c’est chose entièrement neuve et originale que de décrire, d’expliquer, de classer par ordre chronologique, non-seulement ceux de ces monumens qui tiennent au sol et les sculptures qui les décorent, mais toutes les créations, même les plus légères et les plus fragiles, de l’art et de l’industrie de nos pères. Jamais, jusqu’à nos jours, semblable travail n’avait été tenté. Ce qui ne veut pas dire pourtant que ce soit de nos jours, que ce soit depuis quinze ou vingt ans que le moyen-âge ait été découvert. Les générations qui nous ont précédés nous avaient épargné ce soin. Non-seulement elles avaient aperçu cette grande époque, mais elles l’avaient étudiée siècle par siècle, province par province, avec cette infatigable patience et ce labeur persévérant dont le secret est presque perdu pour nous. Sans les admirables érudits de l’ordre de Saint-Benoît, peut-être aurions-nous grand’ peine à pénétrer aujourd’hui dans les profondeurs de ces temps obscurs  ; leurs travaux sont nos meilleurs guides  ; nous ne voyons pour ainsi dire que par leurs yeux  ; mais, il faut le reconnaître, sur un point ils étaient en défaut. Ils avaient fouillé dans les entrailles du moyen-âge, ils avaient déchiffré ses chartes, expliqué ses usages, interprété ses lois  ; ils n’avaient pas regardé ses monumens. Comment l’étude de la paléographie, du blason, des monnaies, ne les avait-elle pas conduits à l’étude des monumens  ? Comment ne s’étaient-ils pas aperçus que les monumens sont aux siècles passés ce que l’écriture est aux