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pendant la durée même de la session. Lord Melville alla l’y trouver et lui proposa, de la part d’Addington, un arrangement dont les bases étranges attestaient, dans celui qui l’avait conçu, d’incroyables illusions. Le ministère alors existant eût été maintenu ; Pitt y serait entré en qualité de secrétaire d’état et y aurait introduit avec lui un de ses amis ; Addington consentait à devenir aussi simple secrétaire d’état, laissant au frère aîné de Pitt, à lord Chatham, avec le titre de premier lord de la trésorerie, les honneurs du rang de premier ministre, mais conservant en effet l’influence dominante dans un cabinet composé, en grande majorité, de ses adhérens.

Pitt, qui pensait avec raison qu’après ce qu’il avait été et ce qu’il avait fait, la première place lui était nécessairement acquise dans toute combinaison ministérielle dont il ferait partie, fut vivement blessé d’une pareille offre. Il se refusa absolument à la discuter. Pour toute réponse, il dicta à lord Melville les termes de la lettre qui annonça à Addington le rejet de sa proposition. Il ne souhaitait nullement rentrer aux affaires, était-il dit dans cette lettre ; son désir était, tout en restant en dehors de l’administration, de l’appuyer tant qu’elle serait en mesure de gouverner avec quelque apparence de succès et qu’elle demeurerait fidèle aux principes essentiels de politique intérieure et extérieure qu’il n’abandonnerait jamais ; mais plusieurs circonstances relatives à la politique étrangère et aux opérations de finances lui inspiraient de graves inquiétudes, et, dans des conjonctures moins critiques, il eût pu se croire obligé de relever publiquement de dangereuses erreurs consignées dans un exposé financier qui venait d’être présenté au parlement. Il s’en abstiendrait cependant, il resterait à la campagne pour ne pas se trouver forcé de se mêler à des discussions qui l’obligeraient à dire toute sa pensée. Après avoir caractérisé comme on vient de le voir les dispositions de Pitt, lord Melville racontait ainsi à Addington les détails de leur entretien.

« Je ne lui ai pas caché l’idée dont vous m’aviez parlé, qu’il pourrait reprendre une part du pouvoir, et que, dans cette supposition, on placerait à la tête du gouvernement un homme de rang, d’une grande considération, qui lui serait, parfaitement agréable. J’ai même spécifié la personne que vous m’aviez nommée ; mais il n’y a pas eu lieu de discuter ce côté de la question, car, de prime abord, sans réserve, sans affectation aucune, il m’a fait connaître ses sentimens à l’égard de toute proposition fondée sur une semblable base. Dans l’état incertain de sa santé, il doute qu’en aucun cas il pût raisonnablement consentir à se charger de la conduite des affaires publiques au milieu des difficultés qui nous entourent ou qui nous menacent. Le moment d’une négociation encore en suspens avec la France ne lui parait, sous aucun point de vue, celui où il pourrait avec opportunité reprendre le pouvoir ; mais, dans aucune hypothèse, rien ne le déciderait à se mettre en avant, excepté le sentiment profond d’un devoir