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faveur semblait une rémunération toute naturelle et même très modeste du temps et des soins qu’un ministre, possesseur le plus souvent d’un riche patrimoine, consacrait au gouvernement. Les censeurs les plus sévères des mœurs publiques de notre temps seront forcés de reconnaître qu’aujourd’hui, en France surtout, les dépositaires du pouvoir n’acquièrent pas aussi facilement la gloire de l’abnégation, bien que la pauvreté de la plupart d’entre eux pût leur mériter quelque indulgence. Cela ne veut pas dire qu’Addington et ses contemporains n’eussent pas droit aux éloges qu’on leur prodiguait ; ils agissaient conformément aux idées de leur époque. Dans des temps plus éloignés de nous, Sully, le grand Sully a bien pu conquérir la réputation d’une austère probité en amassant d’immenses richesses pendant qu’il ruinait les créanciers de l’état pour rétablir les finances. Ce qu’il est permis, ce qu’il est juste de conclure de semblables contrastes, c’est que le niveau de la morale publique s’est élevé depuis lors, et qu’il faut ignorer étrangement le passé pour ajouter foi aux déclamations si souvent répétées sur les prétendus progrès de la corruption. Tel acte qui jadis semblait parfaitement naturel et légitime suffirait aujourd’hui pour déshonorer un homme public. Nous pouvons, individuellement, ne pas valoir mieux que nos ancêtres ; mais, sous l’influence d’une civilisation plus perfectionnée, l’opinion plus délicate, plus éclairée, nous impose des devoirs bien autrement rigoureux.

A défaut de récompenses plus substantielles, Addington emporta dans sa retraite les témoignages les moins équivoques des regrets et de l’affection de George III. Dans le billet par lequel ce prince termina, le 14 mai 1804, leur correspondance officielle, on lit cette phrase expressive : « L’honneur, la sincérité, l’attachement personnel de M. Addington seront toujours pour le roi la source des satisfactions et des consolations les plus réelles que sa majesté puisse éprouver, car le roi ne fait cas que de ceux qui voient en lui un homme, et non pas de ceux qui, ne pensant qu’au monarque, sont nécessairement conduits par l’intérêt, non par l’amitié. » Peu de jours après, George III, sans s’inquiéter du déplaisir que de pareilles démonstrations pouvaient causer aux nouveaux ministres, alla, suivi de la reine et de quelques-uns de ses enfans, visiter Addington et sa famille dans une maison de campagne dépendant du domaine royal où il lui avait permis de s’établir pendant son ministère pour l’avoir toujours à sa portée, et dont il exigea qu’il conservât la jouissance même après avoir quitté les affaires.

Pitt avait repris, de sa main vigoureuse, la direction du gouvernement. Le trait essentiel qui distinguait sa politique de celle d’Addington, c’est que ce dernier voulait que l’Angleterre, au lieu d’exciter les puissances européennes à reprendre immédiatement les armes contre la France, leur laissât le temps de réparer leurs forces et se