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tînt elle-même sur une imposante défensive. Pitt, au contraire, plus hardi, plus énergique, pensait que le seul moyen de résister à Napoléon, c’était de lui susciter des ennemis sur le continent. Il s’empressa donc d’ouvrir des négociations à cet effet ; mais, tandis qu’il préparait secrètement au dehors une nouvelle coalition européenne, il avait à lutter, en Angleterre même, contre des difficultés bien nouvelles pour lui. Le charme par lequel il avait si long-temps dominé la chambre des communes semblait s’être évanoui ; ses plans, ses projets n’y étaient plus reçus avec la même déférence que pendant son premier ministère, la majorité qui le soutenait était faible et incertaine, et les collègues dont il lui avait été possible de s’entourer ne lui prêtaient pas un appui suffisant. Évidemment, le cabinet avait été fondé sur une combinaison trop étroite, et il fallait l’élargir pour acquérir la force et la liberté d’action dont on avait un si impérieux besoin. Pitt le comprit. Après d’inutiles tentatives pour se réconcilier avec lord Grenville, il se résigna à une démarche qui dut coûter beaucoup à son orgueil : il sollicita le concours d’Addington, à qui il avait si récemment refusé le sien ; il lui fit offrir une position importante dans l’administration.

Pour concevoir le prix qu’il pouvait attacher à cette alliance, il ne faut pas seulement tenir compte de la valeur personnelle d’Addington. Ce qui faisait de ce dernier un personnage considérable, c’étaient la faveur et la confiance que le roi continuait à lui témoigner ; c’était aussi l’existence d’un parti, ou, pour mieux dire, d’une coterie de parens et d’amis qui s’était formée autour de lui pendant son ministère, et qui continuait à suivre sa direction. Cette coterie était peu nombreuse, les hommes dont elle se composait n’avaient ni des facultés bien remarquables, ni, à l’exception du marquis de Buckingham, une bien grande existence ; ils ne représentaient dans le pays ni une opinion, ni une doctrine distincte des opinions et des doctrines générales du torysme. Leur seul lien de cohésion résidait dans le sentiment qui les portait à se soutenir les uns les autres, et qui leur faisait considérer, de la meilleure foi du monde, la présence de leur chef dans les conseils de la couronne et leur propre participation aux fonctions publiques comme un principe de gouvernement. En des temps ordinaires, au milieu de grands partis organisés, ils eussent eu peu de moyens d’acquérir de l’influence ou même de se faire remarquer ; mais les partis étaient alors, par l’effet de la coalition et des derniers reviremens ministériels, dans un tel état de dissolution et d’éparpillement, qu’à vrai dire la majorité n’existait nulle part, qu’on la voyait se modifier suivant les questions et que souvent les forces de l’opposition balançaient celles du ministère. Cette situation anormale et presque anarchique devait se prolonger pendant plusieurs années. On comprend quelle importance elle donnait à un petit nombre d’hommes bien décidés à ne pas se séparer