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revoir, mais bientôt Pitt, dont la santé était depuis long-temps fort altérée par l’excès du travail et des inquiétudes morales, tomba gravement malade. La bataille d’Austerlitz lui porta le dernier coup, et le 23 janvier 1806 il mourut d’épuisement avant d’avoir atteint sa quarante-septième année. Lord Sidmouth fut profondément affecté de cette mort. Il était loin de croire que l’événement dût être aussi prochain. Dans une lettre qu’il écrivit à cette époque et qui est la touchante expression d’une douleur sincère, il se félicita de l’heureuse inspiration qui, peu de jours auparavant, l’avait porté à détourner par ses conseils une attaque qu’on voulait diriger, dans la chambre des lords, contre la politique extérieure du grand homme expirant, et qui eût rendu ses derniers momens plus amers.


II.

On sait quelles furent les suites immédiates de la mort de Pitt. Le cabinet qu’il dirigeait et dont il était l’unique force, saisi d’une espèce de terreur panique, s’empressa, malgré les instantes prières du roi, de donner sa démission. George III, ainsi abandonné, fut contraint de recourir à ce parti whig qu’il tenait si soigneusement éloigné du pouvoir depuis plus de vingt ans, et l’on vit se former, sous Fox et lord Grenville, le ministère auquel l’histoire a conservé le nom de ministère de tous les talens, que les tories, par une affectation ironique, lui avaient donné à titre de sobriquet. La pensée qui présida à sa formation, ce fut d’y réunir toutes les forces, toutes les influences du pays pour en faire comme un faisceau qu’on pût opposer aux dangers dont l’Angleterre était menacée par les étonnans progrès de la puissance française. Lord Sidmouth fut invité à prendre part à cette combinaison avec la petite fraction du parti tory qui le reconnaissait pour son chef : il ne se refusa pas à cet appel. Admis dans le nouveau cabinet en qualité de lord gardien du sceau privé, il échangea bientôt ce titre à peu près honorifique contre celui de président du conseil. Un autre tory, le grand-juge lord Ellenborough, devint aussi membre du cabinet pour que lord Sidmouth ne s’y trouvât pas complètement isolé, et des emplois secondaires, bien qu’importans encore, furent distribués à ses protégés.

On disait alors que dans cette administration, formée presque en totalité d’hommes qui étaient pour le roi un objet d’aversion et de défiance, lord Sidmouth jouait le rôle d’un vieil et fidèle intendant chargé de veiller aux intérêts de son maître au milieu d’une foule de serviteurs nouveaux d’une fidélité douteuse. Il est probable, en effet, que les whigs, en s’associant lord Sidmouth, avaient surtout voulu donner au roi un témoignage de condescendance et calmer l’inquiétude qu’il aurait éprouvée, s’il s’était vu exclusivement entouré d’hommes dont il