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Ce n’est rien, et c’est charmant. La lumière glisse, le vent soupire, la forêt palpite ; l’activité humaine, symbolisée par les bûcherons et le charretier, anime le paysage, qui prend, d’un premier frisson d’automne, une mélancolie émouvante. Nous aimons aussi beaucoup les pages où l’auteur, se surprenant à vieillir, tourne au triste d’abord et ensuite à l’amer. — Né avec ce siècle, l’auteur en a la date pour âge, et ce chiffre qui grossit lui rappelle plus cruellement qu’à un autre le déclin de son existence. Il marche avec un compagnon qui lui survivra, et qui sera jeune encore lorsque lui, son jumeau, s’abritera, vieillard frileux, le long de quelque muraille exposée au soleil, ou s’affaissera, dépouille oubliée, sous d’épais draps de terre brune, au milieu des grandes herbes et des orties de l’abandon. Il commence à s’occuper des cyprès qui dépassent le mur d’enceinte du cimetière ; toujours il les retrouve au bout de sa promenade, ces arbres funèbres qui n’attiraient pas son attention autrefois, et que ne remarque pas la jeunesse qu’enivre la fête de la vie et de l’amour.

Nous avons éprouvé, il y a sept ans, un sentiment semblable à Grenade, la ville des califes, la perle des Espagnes, sous l’enchantement du ciel d’Andalousie. Au-dessus de l’Alhambra, la forteresse rouge, s’élèvent dans l’azur implacable deux cyprès dont la vue vous poursuit sans relâche. On les aperçoit du Généralife, de la Silla del Moro, de l’Albaycin, du monte Sagrado, de la sierra d’Elvire, du Soupir du More, de la sierra Nevada. Lorsqu’on redescend du Mulhacen, la première chose qui accroche l’œil, dans la dentelure de la ville couchée sur les croupes de l’Antequerula, ce sont ces deux noirs soupirs de feuillage tristes comme une pensée de mort au milieu de l’allégresse générale, seule teinte sombre dans cet éblouissement d’or, d’argent, d’azur et de rose. Je les voyais, de la terrasse de la maison que j’habitais, si crûment dessinés sur un fond de lumière aveuglante, qu’il me semblait les toucher de la main ; ces memento mori, ces avertisseurs sépulcraux, étaient devenus mon cauchemar, et cependant quelle terre plus douce et plus parfumée eût-on trouvée pour dormir le grand sommeil à l’ombre des myrtes et des lauriers-roses ! — Il est vrai qu’en Espagne on met les morts dans des niches percées au flanc d’une muraille, comme les trous d’un colombier, et que, si j’étais mort là-bas, on m’eût enfourné comme les autres au lieu de confier mes restes à ce sol d’aromates et de poudre d’or. Mais je fais comme M. Töpffer, je tourne au triste ; prenons garde à l’amer, et reposons-nous plutôt dans cette jolie description qu’il trace de la maison paternelle, rustique habitation de paysan, agrandie successivement et embellie d’un peu d’art et de comfort. L’hiver est venu, les flocons de neige tombent assez pressés pour dérober à demi sous leur réseau blanc les grands arbres voisins, les petits oiseaux affamés et transis voltigent en piaillant autour de la