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haie, un passant paraît au coin du chemin, un chariot rampe le long de la côte. Le vent souffle dans les corridors comme dans des tuyaux d’orgue. Quel plaisir d’être là dans une chambrette bien close, sur un bon fauteuil, près d’un feu bien flambant, laissant errer un regard distrait sur ces correctes gravures de Woolet et ces capricieuses eaux fortes d’Hermann Van Veld, feuilletant quelques pages d’un livre choisi, écrivant quelques lignes interrompues souvent par la pensée ou le rêve, et puis, quand les reflets rougissans de l’âtre indiquent l’arrivée du soir, de se lever et d’aller prendre place à sa table où fume le patriarcal potage au milieu du cercle joyeux de la famille ! Cependant l’hiver est passé, allons faire un tour dans ce verger, un peu âpre, un peu sauvage, attenant à la maison ; à cause de l’élévation de la zone, il n’y pousse que des pommiers, des cerisiers ; la rose n’y vient qu’à l’état d’églantier ; mais, à deux pas, le sapin se groupe en forêts majestueuses, et là-bas, où les prairies s’abaissent, la Mantua roule ses eaux rapides et glacées. Les cimes des Alpes ferment l’horizon de leur couronne d’argent, et scintillent encore long-temps après que l’ombre baigne les lieux inférieurs.

Ces simples esquisses réveillent l’idée du beau mieux que de froids raisonnemens : combien de dissertations esthétiques n’ont servi qu’à ennuyer les gens du monde, ou à faire briller la souplesse de quelques rhéteurs ! Dans le rapport didactique, de pareilles subtilités n’ont trop souvent aucune importance. Les grands artistes s’en sont médiocrement occupés, et l’on peut dire qu’ils y étaient tout-à-fait étrangers aux plus glorieuses époques de l’art. Nous croyons même l’étude de ces mystérieuses genèses de la pensée plus nuisible encore qu’utile aux poètes, aux peintres, aux sculpteurs et aux musiciens. L’inspiration a sa pudeur, elle ne descend pas si un œil trop curieux l’épie ; abandonnons l’embryologie psychique aux philosophes, ces anatomistes de l’ame ; livrons-nous à l’amour, à l’admiration, à l’enthousiasme, au travail et au loisir, à la pensée et au rêve, à toutes les ivresses de l’intelligence, à tous les épanouissemens de la vie ; étincelons comme des flots, vibrons comme des lyres ; soyons traversés, comme des prismes, par les rayons des soleils et les effluves des univers ! Laissons les verbes parler avec nos lèvres ; confions-nous à l’inconnu qui tenait le plectrum d’Homère, le ciseau de Phidias et le pinceau d’Apelles, au visiteur qui vient à l’heure propice et fait soudain resplendir le poème, la statue, le tableau, par un mot, une ligne, une teinte dont nous défions bien les plus subtils analyseurs de se rendre compte, et, s’il nous faut à toute force une définition du beau, acceptons celle de Platon : « Le beau est la splendeur du vrai ! »


THEOPHILE GAUTIER.