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au moins. Ils écrivent pour écrire ; ils disent le pour et le contre avec une facilité merveilleuse, et, quand ils attendent huit jours pour se contredire, ils méritent d’être loués pour la solidité de leurs convictions. Il n’est pas d’écrivain qu’ils n’élèvent et ne rabaissent à tour de rôle, pas d’opinion qu’ils ne soutiennent et ne combattent, et cela le plus souvent parce que, n’ayant aucune opinion, ils les ont toutes, et qu’ils manquent tout simplement de mémoire. Ils ne se souviennent pas de ce qu’ils adoraient hier, et ils le brûlent aujourd’hui ; ce n’est que défaut d’attention et étourderie. Mais quelle muse que l’étourderie pour un critique ! Que voulez-vous qu’on devienne avec une pareille inspiratrice, et quand on prend pour gaie devise ce qu’Hamlet murmurait d’une voix si triste : Des mots, des mots, des mots ? Que voulez-vous qu’on devienne, sinon un critique brouillant tout, confondant tout, et imitant ce juge de Rabelais qui sentenciait les procès au sort des dés ? Et n’oublions pas, pour dernier trait, que parmi ces critiques légers il y en a qui cachent de très vilains calculs sous l’apparence de l’étourderie, et dont les reviremens et les voltes-face ne sont pas des fautes de mémoire, au contraire. Ces derniers sont les plus coupables de l’espèce, car ils ont le défaut et pas l’excuse.

Comme de notre temps la fantaisie s’est mêlée à tout, elle ne pouvait pas manquer de se mêler à la critique, et il ne faut pas confondre l’école de la fantaisie avec celle de l’étourderie et de l’ignorance. Si la seconde va toujours au hasard, à droite ou à gauche, n’importe, la première sait très bien ce qu’elle veut et où elle va. Son invariable habitude est de prendre le contrepied de l’idée reçue. On devine à quelles extrémités doit pousser un pareil système, et que d’esprit il faudrait pour soutenir cette éternelle gageure contre le bon sens. Eh quoi ! toujours le paradoxe, et le paradoxe de sang-froid ! Quel régime ! Et comment la fantaisie, ne fût-ce que pour mériter son nom, ne fait-elle pas quelques infidélités au paradoxe pour revenir au sens commun ? Le paradoxe, d’ailleurs, vieillit si vite : à sa première ride il a cent ans. Pour amusante, la critique fantasque l’est sans doute quelquefois, et son éclat de rire ne manque pas d’originalité ; mais n’est-ce pas la plus étrange et la plus fausse des critiques, et ne faudrait-il pas plaindre sincèrement les bonnes gens qui prendraient pour de véritables règles du goût ces spirituelles extravagances ? Qu’on l’explique comme on voudra, la fantaisie n’avait pas le droit de s’établir au cœur de la critique ; elle pouvait tout au plus paraître sur ce terrain pour tenter un coup de main, faire quelque action d’éclat et se retirer aussitôt. En fait de folles équipées, les plus courtes sont les meilleures ; il n’y a même que celles-là qui soient bonnes.

Si, après la critique étourdie et la critique fantasque, j’abordais la critique ignorante proprement dite, que de remarques j’aurais à faire !