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ont tué trop de créatures du bon Dieu, le bon Dieu se revengera. Ces paroles semblèrent prophétiques, car les frères chouans apprirent peu après l’arrestation de leurs deux sœurs Perrine et Renée. À cette nouvelle, Jean sortit de sa torpeur. Les prisonnières avaient été conduites au Bourgneuf, d’où on devait les diriger sur Laval avec une forte escorte. Il résolut de les délivrer. Par malheur, la plupart de ses hommes étaient absens, il n’en put réunir que vingt-cinq ; mais il leur fit jurer sur leur part de paradis qu’ils mourraient jusqu’au dernier pour sauver les deux jeunes filles. La petite troupe s’embusqua dans les bois de la Durondais, au fond d’une douve cachée par une haie touffue. Jean, que ses compagnons n’avaient jamais vu effrayé, tremblait si fort, qu’il pouvait à peine parler. Il recommanda aux chouans de se souvenir de leur amitié pour lui et de prier le bon Dieu en son intention, puis il se porta en avant pour guetter le convoi ; mais aucun bruit n’annonçait son approche. Le jour arriva sans qu’on vît rien paraître. Seulement la pluie commençait à tomber et à remplir la douve. Les chouans eurent bientôt de l’eau jusqu’au-dessus de la cheville. Jean éperdu revenait à chaque instant vers eux, serrait leurs mains, et s’écriait les larmes aux yeux : — Nous les délivrerons, pas vrai ? Vous ne voudriez pas m’abandonner seul ici ? Et les chouans répondaient : — Ne t’inquiète de rien ; tant que tu resteras, nous resterons.

Cependant les heures succédaient aux heures ; la pluie augmentait toujours. De la cheville, l’eau avait gagné les genoux, et personne n’avait mangé depuis vingt-quatre heures ! Enfin, au retour de la nuit, Jean eut pitié de ces dévouemens silencieux. — Partez, mes gas, dit-il ; le mauvais temps aura retenu les bleus. Demain nous reviendrons les attendre. — Mais quand il se trouva seul avec Miélette, il lui dit : -Retourne à Misdon ; moi, je vais au Bourgneuf pour m’informer ; car j’ai de noires idées dans le cœur.

Ces noires idées étaient des pressentimens. Au Bourgneuf, Jean apprit que ses sœurs avaient été conduites, dès le premier jour, à Ernée par un autre chemin. Il se rend à Ernée ; elles venaient d’être envoyées à Mayenne. Il partit pour Mayenne ; on les avait dirigées sur Laval. Jean revint à Misdon pour prendre conseil de Miélette.

Parmi beaucoup d’autres talens, ce dernier avait celui des déguisemens. Nul ne savait mieux que lui prendre au besoin l’apparence d’une vieille femme. Il se procura le costume nécessaire et se rendit à Laval pour avoir des renseignemens. Il revint dès le soir même, mais si troublé, qu’il entra dans la cabane où était Jean sans l’apercevoir ; Jean devina à sa pâleur ce qui était arrivé.

— On les a tuées, n’est-ce pas ? s’écria-t-il en se levant hors de lui.

- Oui, dit Miélette ; mais console-toi, elles ne t’ont point fait déshonneur.