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à obéir. Rui Gonzalez de Castañeda, un des vingt ligueurs de Tejadillo, avait demandé secrètement et obtenu quelques jours auparavant une lettre d’amnistie. Il la montre à ses compagnons et les presse de se rendre, les assurant qu’ils n’ont rien à craindre. Sa confiance leur rend quelque espoir, et, la clémence du roi envers Abarca paraissant d’un augure favorable, le pont-levis s’abaisse enfin, et la reine se montre accompagnée de la comtesse de Trastamare et des quatre chefs réfugiés avec elle : c’étaient le Portugais Martin Telho, Estebañez Carpentero, maître intrus de Calatrava, Gonzalez de Castaneda, enfin Tellez Giron qui, peu de mois auparavant, avait déserté la bannière royale. Carpentero et Castañeda soutenaient chacun d’un côté la reine tremblante. Ce dernier élevait en l’air la lettre d’amnistie toute déployée. Les autres se serraient autour des deux femmes, qu’ils considéraient comme leur sauvegarde, et s’attachaient à leurs vêtemens. Tous cherchaient quelque seigneur de marque, quelque chef de l’armée royale dont ils pussent implorer la protection. Pour arriver jusqu’au roi, ce lugubre cortége avait à traverser une masse compacte d’hommes d’armes qui les attendaient l’épée nue à la main sur le revers du fossé. Il fallut passer le pont-levis et s’engager entre deux haies de soldats. Castañeda, montrant le parchemin et le sceau du roi, s’écriait qu’il avait sa grace, oubliant qu’il avait laissé expirer le délai fixé pour sa soumission. On s’avançait lentement au milieu des huées et des injures de la foule, et le roi ne paraissait point. A quelques pas du pont-levis, un écuyer de Diego de Padilla, reconnaissant Carpentero aux insignes de Calatrava, fend la presse et lui assène sur la tête un coup de masse qui l’abat aux pieds de la reine[1]. On l’achève à coups de poignard. Ce fut le signal du massacre. En un instant Castañeda, Martin Telho et Tellez Giron tombent percés de mille coups, et inondent de leur sang les vêtemens des deux femmes évanouies à cet horrible spectacle. En reprenant connaissance, la reine, soutenue entre les bras de quelques soldats farouches, les pieds dans une mare de sang, vit d’abord les quatre cadavres mutilés, déjà dépouillés nus. Alors le désespoir et la fureur lui rendant des forces, d’une voix entrecoupée par des cris et des sanglots, elle maudit son fils et l’accusa de l’avoir à jamais déshonorée. On l’entraîna dans son palais, où elle fut traitée avec ces respects dérisoires que, l’année précédente, les ligueurs montraient à leur royal captif. La comtesse de Trastamare, séparée aussitôt de la reine, fut dès ce moment gardée avec la plus grande rigueur. L’habitude de don Pèdre n’était pas de remettre au lendemain l’exécution de ses terribles arrêts. Le même jour, quelques seigneurs, saisis dans le château

  1. Rades, Cron, de Calat., p. 56, prétend sans aucune autorité que le roi le tua de sa propre main devant la reine. J’ai suivi le récit très circonstancié d’Ayala, qui seul mérita créance.