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publications, et qui, à la tête d’une expédition scientifique envoyée par le gouvernement prussien, a parcouru l’Égypte et la Nubie jusqu’à Méroé. M. Lepsius est à Thèbes depuis plusieurs mois ; c’était une bonne fortune qu’une telle rencontre. Nous nous sommes empressés d’en profiter.

L’expédition prussienne est établie dans une petite maison que M. Wilkinson a eu la généreuse pensée de faire bâtir à mi-côte de la montagne qui sépare la plaine de Thèbes de la vallée des tombes royales, pour que ceux qui viendraient étudier les ruines pussent habiter ailleurs que dans leurs barques. Cette demeure est ainsi ouverte à qui veut l’occuper comme la tente de l’Arabe ; M. Wilkinson a montré que la civilisation européenne entendait l’hospitalité aussi bien que la barbarie du désert. Nous avons été très cordialement accueillis, et M. Lepsius a bien voulu nous accompagner dans notre promenade archéologique ; nous ne pouvions avoir un meilleur cicérone.

Nous sommes entrés d’abord dans le Ramesséum, situé au-dessous de sa demeure, et qu’il visitait en voisin. Il en a fait reconnaître par des fouilles et relever par des plans la disposition architecturale plus complètement qu’elle ne l’avait été jusqu’ici. Ce monument est important à plusieurs égards, d’abord parce qu’il a passé et qu’il passe encore auprès de plusieurs savans pour le fameux tombeau d’Osymandias, dont Diodore de Sicile fait une description si merveilleuse, et qui, à en croire les récits des voyageurs grecs rapportés par cet écrivain, aurait été à lui seul aussi vaste que les quatre plus grands monumens de Thèbes ; mais M. Letronne a, selon moi, parfaitement montré que le tombeau d’Osymandias, tel que Diodore de Sicile le décrit, différait du Ramesséum par des traits essentiels[1], en sorte que le prétendu monument d’Osymandias serait invraisemblable et impossible, et tout juste aussi historique que le tombeau de Merlin. Ainsi le tombeau d’Osymandias avec sa bibliothèque, dont l’inscription : Officine de l’ame, a été imaginée, je pense, d’après celle de la bibliothèque d’Alexandrie, avec ses pylônes de granit, ce qui est sans exemple, et surtout avec son fameux cercle astronomique en or de six cents pieds de circonférence et d’un pied et demi d’épaisseur[2], ce merveilleux tombeau n’a jamais existé que dans les fables intéressées des prêtres égyptiens et dans l’imagination crédule des voyageurs grecs.

  1. Voyez Mémoires de l’Académie des Inscriptions, nouvelle série, t. IX, 317. M. Saint-Martin, qui croyait que le Ramesséum était réellement le tombeau d’Osymandias, pensait qu’on y trouverait le nom de ce roi, qui paraît être la forme altérée d’un vieux nom écrit sment ; mais dans le Ramesséum on ne trouve que le nom de Ramsès.
  2. Pockoke et Montucla ne croient pas plus que M. Letronne au cercle d’Osymandias. Montucla dit sagement : « J’espère que, dans ce siècle éclairé des lumières de la critique et de la philosophie, l’immense cercle d’Osymandias et l’observatoire de Bélus trouveront peu de croyance. » (Histoire des Mathématiques, I, p. 54.)