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les croyances de l’homme par la nature de ses facultés. L’homme se trompe plus souvent qu’il n’est trompé ; c’est à peine si de nos jours il commence à se demander compte de la réalité des faits avant de les admettre. Pendant de longs siècles, il fut crédule aux autres et encore plus à lui-même. Il n’était pas besoin des combinaisons profondes d’une théocratie menteuse pour lui imposer des erreurs ; pour forger les plus étranges, c’était assez de son imagination et de son ignorance.

Il nous reste à voir encore un grand ensemble de ruines, le Karnac de la rive gauche, Médinet-Habou. L’ensemble des édifices de Medinet-Habou se compose de deux groupes de monumens. Ici, comme à Karnac, comme à Louksor, on voit en présence l’élégante architecture du temps des Thoutmosis et l’architecture majestueuse de l’âge des Ramsès. A côté d’un petit temple de Thoutmosis III, Ramsès III, appelé Meiamoun, aussi grand conquérant que ses aïeux Ramsès-le-Grand et Séthos, a élevé des bâtimens immenses précédés d’un palais qu’on appelle son pavillon. Ces deux architectures, au lieu d’être placées l’une à la suite de l’autre comme à Karnac et à Louksor, sont donc ici placées côte à côte. Nous terminerons notre examen de Médinet-Habou par l’étude de cette royale habitation de Ramsès Meiamoun et du grand édifice composé de plusieurs salles ou plutôt de plusieurs cours dans lesquelles il a représenté les magnificences de ses triomphes. Nous allons le commencer par tout ce qui, dans la construction de Médinet-Habou, n’appartient pas à Ramsès Meiamoun, le principal fondateur.

Cette portion pour ainsi dire accessoire est en partie plus ancienne et en partie plus moderne que lui. Ce qu’il y a ici de plus ancien est le petit temple de Thoutmosis III auquel conduisent : 1° une cour extérieure, construite sous l’empereur Antonin ; 2° un pylône, qui porte le nom de deux Ptolémées ; 3° une seconde cour, où on lit le nom d’un roi éthiopien, nom qui a été effacé par Nectanébo, le dernier des Pharaons et le père fabuleux d’Alexandre. Quelle variété de souvenirs ! comme on passe brusquement d’un siècle à un autre siècle, d’un peuple et d’une dynastie à un autre peuple et à une autre dynastie ! Et c’est grace à la lecture des hiéroglyphes que la pensée peut faire ces voyages de siècles en allant d’une ruine à celle qui la touche immédiatement, comme en géologie on parcourt des milliers d’années en passant d’une roche à la roche superposée. Avant la découverte de Champollion, les monumens de la douzième dynastie et de la vingt-sixième, les monumens élevés par les conquérans éthiopiens, les rois grecs et les empereurs romains, étaient tous des monumens égyptiens ; mais aujourd’hui on distingue sur-le-champ les époques et les origines. On lève les yeux sur un cartouche, et l’on sait immédiatement à quel temps, à quel peuple, à quel roi appartient l’édifice en présence duquel on se trouve ; on fait un pas, et l’on voit qu’on a franchi vingt siècles ; on s’oriente au sein des âges.