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l’autre m’était inconnue ; mais, au timbre plus doux, aux accens qui, bien que voilés par la prudence, s’élevaient au milieu du calme de la nuit comme une tendre et suave mélodie, je ne doutai bientôt plus de la présence d’une femme. J’en avais assez vu, je repoussai la porte ; au grincement des gonds rouillés, une forme légère disparut dans l’ombre d’un pilier plus éloigné. Le Biscayen se dirigea rapidement vers moi

— Ne vous excusez pas, me dit-il ; vous avez, sans le vouloir, surpris un secret qui tôt ou tard devait vous appartenir ; mieux vaut donc que ce soit maintenant. Je parlais de vous d’ailleurs ; n’est-ce pas à vous que je dois l’un des plus heureux momens de ma vie ? n’ai-je pas encore besoin cette nuit même d’une nouvelle preuve de cette amitié qui me sera désormais si précieuse ?

Don Jaime me fit alors en quelques mots le résumé rapide d’un roman commencé six mois auparavant à Mexico, sous les ombrages de l’Alameda ; il s’agissait de projets d’union contrariés par la disparité des fortunes, de tentatives de fuite déjouées par une surveillance incessante jusqu’au moment où le père de celle qu’il avait aimée pour sa seule beauté, avant de se douter qu’elle fût riche, était parti pour la ramener à l’une des haciendas qu’il possédait dans l’intérieur du pays. C’était pour donner suite à un nouveau projet d’enlèvement que don Jaime avait amené deux chevaux ; mais à la troisième étape, c’est-à-dire à la venta d’Arroyo-Zarco, le pauvre jeune homme, qui suivait la voiture à distance, s’était trouvé à bout de ressources, et n’avait pu obtenir accès dans l’hôtellerie. Grace à notre rencontre fortuite, cet obstacle avait disparu, tout était prêt pour gagner Guanajuato. Là don Jaime devait confier la fille de l’hacendero à une parente éloignée qui la cacherait dans un couvent jusqu’au moment où, les poursuites apaisées et le mariage conclu, il devait leur être facile de passer en Espagne. Malheureusement un nouvel obstacle se présentait : comment sortir de l’hôtellerie sans exciter les soupçons du huesped, et comment dissimuler cette fuite en sauvant les apparences ? Don Jaime avait pensé que je pourrais les accompagner en laissant à la venta mon domestique dont nous emmènerions le cheval tout sellé. Doha Luzecita (c’était le nom de la fille de l’hacendero) passerait aisément pour Cecilio, et l’hôte, nous ayant vu sortir comme nous étions entrés, ne pourrait concevoir aucun soupçon.

Il y avait tant d’éloquence dans le regard suppliant du Biscayen, que je fus sur le point de me lancer tête baissée dans cette nouvelle aventure ; mais la réflexion me retint, et je refusai le concours qui m’était demandé. Don Jaime soupira, et sortit de la chambre. Quelques minutes après, il était de retour ; la jeune voyageuse l’accompagnait. Un rebozo soigneusement drapé à la mode mexicaine entourait sa tête et son visage. Les plis du voile de soie ne laissaient entrevoir qu’un étroit bandeau de cheveux de jais, un front que la honte empourprait, et, sous l’arc