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la brume. J’affectai de rire des craintes de mon valet, quand il me sembla entendre au milieu du silence un craquement semblable à celui d’un fusil qu’on arme. Au milieu du ravin où je me trouvais, ravin encombré de rochers éboulés, nos chevaux ne pouvaient avancer que lentement. Je pressai néanmoins le pas. Tout à coup une lueur brilla au-dessus de nos têtes, un sifflement aigu déchira mes oreilles, et une détonation résonna dans le ravin, accompagnée d’un bruit sec semblable à celui d’une balle qui s’aplatit sur un rocher.

— Ah ! le coquin ! s’écria en même temps une voix qui semblait partir de la crête du talus, je l’ai manqué.

Mon premier mouvement fut de fermer les yeux dans l’attente d’un second coup. Un instant se passa dans une anxiété terrible, pendant que les derniers échos répercutaient encore l’explosion, puis je levai la tête pour chercher d’où la balle était partie ; mais le brouillard enveloppait les hauteurs, et je ne pus rien distinguer. Un lambeau de la banderole de ma lance me prouva seulement que la balle avait dû passer à deux pieds de mon corps et que j’avais réellement servi de point de mire.

— C’est bien à moi qu’on en voulait, dis-je à Cecilio ; en route, et tâchons de gravir l’escarpement chacun de notre côté pour mettre la main sur le drôle qui, par-dessus le marché, semble si furieux de m’avoir manqué.

— D’abord, s’écria Cecilio, à qui cette reconnaissance ne souriait que médiocrement, rien n’indique qu’on ait tiré sur vous, et d’ailleurs je ne vous quitte pas ; c’est le devoir d’un bon serviteur d’être toujours à côté de son maître.

J’arrivai plus vite que lui au sommet du ravin ; mais, si loin que ma vue pût atteindre, je n’aperçus devant moi que les collines lointaines déjà nuancées d’un bleu violet, quelques champs où le maïs se balançait tristement, des teintes plus foncées qui annonçaient les crevasses de la sierra, partout un paysage lugubre et attristant que voilait l’ombre du crépuscule. La prudence me faisait un devoir de continuer ma route sur les hauteurs, et j’avançais, car il n’était plus temps de revenir sur mes pas. Je ne marchai pas long-temps sans apercevoir au loin un bâtiment assez vaste ; nulle fumée ne s’élevait du toit, et probablement cette maison était déserte. Ce devait être quelque usine abandonnée, et, à mesure que j’en approchais, le délabrement des murailles, les interstices des toitures, me confirmaient dans cette pensée. Au moment où Cecilio mettait pied à terre pour s’assurer s’il n’y avait en effet aucun habitant, arrivait à toute bride, par un chemin détourné, un cavalier, une carabine à la main. Le cavalier s’arrêta brusquement à mon aspect, et me considéra pendant quelques secondes avec un air de répugnance et d’appréhension. Puis, avec un grand éclat de rire

— Vous n’êtes donc pas Remigio Vasquez ? me demanda-t-il.