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avait su donner une physionomie toute particulière au capitan espagnol, dont il jouait le personnage sous le nom de Coccodrillo.

La seconde troupe qui, vers la même époque, parcourait nos provinces, était celle des Gelosi. Elle possédait également de fort bons acteurs. Orazio Nobili, de Padoue, tenait l’emploi d’innamorato ; Adriano Valerini, gentilhomme véronais, remplissait les mêmes rôles sous le nom d’Aurelio ; Lucio Burchiella était très divertissant dans le Graziano (le docteur bolonais) ; enfin les amoureuses avaient pour interprète la belle et trop tendre Lidia de Bagnacavallo, dont la passion jalouse et trop peu déguisée pour son camarade Adriano Valerini fit quelque peu de scandale, chose rare à cette époque, où les comédiennes ne se piquaient de rien tant que de vertu. Cette troupe avait pour devise un Janus à deux faces, avec cette légende, qui jouait sur leur nom de Gelosi :

Virtù, fama ed onor ne’ ser Gelosi.

En 1574, les deux compagnies rivales s’unirent en une seule troupe sous le nom de Comici Uniti ; mais, dès la fin de 1576, ils se séparèrent de nouveau. Flaminio Scala, dans la fleur de l’âge et du talent, se mit à la tête des Gelosi, qui, sous son habile direction, ne cessèrent, pendant vingt-huit ans, d’obtenir les applaudissemens de la France et de l’Italie. C’est précisément cette troupe, reconstituée depuis un an à Venise, dont nous venons de lire dans le Journal de l’Étoile l’arrivée difficile à Blois et les débuts à l’hôtel de Bourbon. Cet hôtel, pour le dire en passant, bâti entre le Louvre et Saint-Germain-l’Auxerrois, ne consistait plus alors qu’en une chapelle et une galerie, où l’on établissait à l’occasion un théâtre pour les fêtes de cour. Quant au personnel de cette compagnie, Flaminio Scala joignit aux acteurs que nous avons nommés plus haut une jeune actrice, née, comme lui, à Vérone, la signora Prudenza, qui jouait les secondes amoureuses. Lui-même remplissait les rôles d’amoureux, en même temps qu’il fournissait la troupe de canevas nouveaux.

Cependant, malgré l’accueil empressé que les Gelosi reçurent des habitans de Paris, ils n’y demeurèrent que peu de temps. Les longs séjours n’étaient pas dans les habitudes de ces troupes ambulantes, et d’ailleurs les magistrats, peu favorables à l’établissement de nouveaux théâtres, soutenaient avec rigueur le monopole des anciens confrères de la Passion, alors exploité par des comédiens de profession, locataires de l’hôtel de Bourgogne. De retour à Florence, en 1578, les Gelosi firent de très importantes recrues. C’est alors que Flaminio Scala parvint à réunir dans sa troupe Giulio Pasquati, de Padoue, pour les emplois de Pantalon et du Magnifico ; Gabriello, de Bologne, créateur