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les bestiaux des Cafres, mais non pas sur les Cafres eux-mêmes. C’était une méchante guerre dans laquelle les troupes anglaises mal conduites et obligées de ménager des ennemis implacables souffraient beaucoup. Que l’humanité y gagnât quelque chose, cela est douteux ; mais les Cafres y gagnaient davantage encore. Enfin sir Th. Maitland a fait place au négociateur de Canton, sir. Henry Pottinger. Ce dernier n’a fait que traverser la ville du Cap pour se rendre à Graham’sTown, dans le district d’Albany, et il a établi son quartier-général en face de l’ennemi. Il a dix mille hommes sous les armes, quelques dragons anglais et une excellente cavalerie indigène (Cape-mounted-rifle), entièrement composée de noirs Hottentots. C’est plus qu’il ne faut pour battre tous les Cafres de l’Afrique, mais ce n’est pas plus qu’il ne faut pour les surveiller et pour garder une frontière aussi aisément franchissable que le Key-River. Le moment est venu de reprendre les opérations militaires ; les missionnaires défendent leur Kabylie, et on n’est pas certain que, malgré toute sa bonne volonté, sir Henry Pottinger obtienne du cabinet britannique l’autorisation d’agir avec vigueur et d’en finir.

En attendant, les millions se dépensent, et la colonie décline rapidement. Cette année, elle aura coûté à l’Angleterre cinquante millions de francs. Il faut vraiment être bien travaillé de la manie de voir de la profondeur partout quand il s’agit de nos voisins, pour avoir attribué à un plan machiavélique l’émancipation des noirs dans les colonies anglaises. Pour qui a pu être témoin à la Jamaïque ou au Cap de ce que la réalisation de ce projet généreux a coûté à la Grande-Bretagne, il est difficile d’y voir autre chose que l’entraînement d’une philanthropie bigote et inintelligente. La colonie du Cap possède le sol le plus fertile. Ce sol, même aux portes de la ville, reste en friche faute de bras pour le cultiver. C’est la Nouvelle-Hollande qui nourrit aujourd’hui les colons de l’Afrique méridionale. Il arrive journellement, soit au Cap, soit au port Élisabeth, dans la baie d’Algoa, des bâtimens chargés des blés de la rivière des Cygnes ou de la terre de Van-Diemen. Les vins du Cap devraient approvisionner l’Inde entière et les vastes archipels de l’Asie ; mais la cherté incroyable de la main-d’œuvre en a réduit depuis quelques années l’exportation. Une seule industrie prospérait, le commerce des laines ; la guerre des Cafres en arrête le développement. Aussi les colons endettés voient-ils leurs propriétés grevées d’hypothèques et leurs charges augmentées au moment même où leurs revenus diminuent. La colonie se soutient par ce grand élément de la puissance anglaise, le crédit. Parfois aussi une ressource inespérée lui vient en aide. Récemment, c’était le guano. Avec les droits perçus dans la baie de Saldanha et sur l’île d’Ichaboë, on a pu entreprendre de nouvelles routes et pourvoir aux frais de l’administration ; mais le guano n’est pas inépuisable, et, quand il manquera, l’administration sera fort embarrassée. Peu de bâtimens relâchent aujourd’hui au Cap, en comparaison du nombre de navires qu’on y voyait autrefois. La rade de Table-Bay n’est pas sûre ; celle de Simon’s-Bay est au fond d’un golfe et offre peu de ressources. La plupart des navires destinés pour l’Inde, Maurice ou Batavia, passent devant le Cap sans s’y arrêter et vont d’une haleine à leur destination. On a bien de grands projets au Cap : on veut jeter un brise-lame sur la rade de Table-Bay et y créer un abri aussi sûr que celui de Plymouth ; mais, dans la situation présente, ces projets sont des rêves dont la réalisation est impossible. On répand aussi le bruit que la baleine franche, après avoir déserté