Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une commotion si alarmante, le calme n’était-il pas nécessaire et le repos permis ? Des jacobins, comme on disait alors, pouvaient seuls désirer davantage, et il suffisait que les révolutions se fussent emparées de la cause du progrès pour que la première des monarchies absolues se crût obligée par honneur et par prudence à comprimer dans son germe toute idée d’un droit nouveau. C’est en raisonnant ainsi que l’Autriche a pu traiter comme un délire[1] les vœux de l’Allemagne et de la Hongrie pour des institutions plus libres ; c’est pour cela aussi que, seule parmi les grandes puissances, elle a voulu rester étrangère à la restauration de la nationalité hellénique ; c’est pour cela enfin qu’elle a refusé d’entendre les représentations de plusieurs de ses états provinciaux en faveur des classes corvéables, et qu’elle a retardé de toutes ses forces les améliorations sociales là où elles s’imposaient par des moyens constitutionnels, comme en Hongrie.

Aujourd’hui cependant la politique autrichienne n’a-t-elle pas dévié un peu de son principe ? Le système de l’immobilité n’aurait-il pas perdu un peu de sa rigueur première ? N’aurait-il pas fini par sentir sa propre impuissance au milieu d’événemens nouveaux qui déconcertent les vieux calculs ? Autrement, que signifient ces concessions par lesquelles on répond aux exigences des nationalités naissantes, telles que l’illyrisme et le roumanisme ? Pourquoi les diètes générales de la Hongrie et de la Transylvanie ne rencontrent-elles plus tout-à-fait les mêmes entraves ? Pourquoi quelques diètes provinciales, par exemple celle de la Basse-Autriche et celle de la Bohème, élèvent-elles sans danger la voix plus haut que de coutume[2] ? Pourquoi surtout en est-on venu récemment à cette résolution très grave qui autorise les paysans des provinces non constitutionnelles[3] à racheter leurs redevances en nature et les fait passer de la condition de sujets et de tenanciers à celle de propriétaires ? N’est-ce pas là sortir des traditions, et qu’est-il donc survenu ? Une chose bien simple : le temps a marché, les besoins et les idées ont devancé les lois ; ils ont échappé à la contrainte, et, ne trouvant point à se constituer pacifiquement, ils ont créé des situations dangereuses, suscité même des conflits sanglans et imposé au pouvoir une politique nouvelle.

De toutes les nécessités que subit aujourd’hui le gouvernement de l’Autriche, celle d’une réforme de la propriété au profit des classes laborieuses n’est ni la moins grave ni la moins pressante. On conçoit que les nationalités, réveillées

  1. Le mot est de François II aux Hongrois : Totus mundus delirat, vult constitutiones habere.
  2. Un écrit qui date de quelques années, mais dont la seconde partie a paru récemment, l’Autriche et son Avenir, a surtout pour objet de montrer la nécessité d’une réorganisation des institutions provinciales comme moyen de salut pour l’empire. Dans son livre sur les Lois organiques de la Bohême, M. Schopf s’est proposé un but semblable.
  3. Par provinces non constitutionnelles, nous entendons celles qui dépendent immédiatement de l’administration autrichienne et qui possèdent seulement des états provinciaux, c’est-à-dire toute l’Autriche, moins la Hongrie et la Transylvanie. Ce royaume et cette principauté ont des états-généraux, et l’empereur y est simplement roi constitutionnel, avec un pouvoir très fort, sans doute, mais pourtant limité. La chancellerie a donc pu ordonner, de sa pleine autorité, la réforme de la législation féodale dans l’archiduché, la Moravie, la Bohème, la Styrie, l’Illyrie, la Gallicie, sauf à faire pour la forme approuver cette innovation par les diètes provinciales ; mais, si l’empereur tient à ce qu’elle soit étendue à la Hongrie et à la Transylvanie, il faut qu’il en soumette d’abord la proposition aux diètes hongroise et transylvaine, qui ont le droit de l’examiner et de la rejeter.