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général Slovaques, et dans l’est, le long de la frontière transylvaine, depuis les pays slovaques jusqu’au Danube, ils sont Roumains. Ceux-ci se rattachent au mouvement du romanisme en Transylvanie et en Moldo-Valachie, ceux-là au slavisme de la Bohème ; enfin les uns et les autres nourrissent contre les Magyars une haine invétérée, que la propagande ne peut manquer d’envenimer de jour en jour. La prétention imprudente que les Magyars ont affichée de dénationaliser toutes les populations soumises ou annexées au royaume a soulevé chez les Slovaques et chez les Roumains une répulsion aussi vive que chez les Illyriens croates, bien qu’elle ne soit pas parvenue à se formuler aussi clairement. Faute de libertés locales et de droits municipaux, elle n’a pas pu se constituer, se faire entendre et respecter politiquement comme l’illyrisme ; en revanche, elle a pris un caractère très prononcé d’inquiétude sociale, et, sitôt que l’on prête l’oreille aux sourds murmures des paysans slovaques ou roumains, il est impossible de ne pas remarquer que leurs principaux griefs se résument dans l’accusation d’aristocratie. Tandis que les savans de ces deux races se plaignent comme nationalité méprisée, les cultivateurs se plaignent comme paysans, et, avant de voir dans la classe des propriétaires des hommes d’une race ennemie, ils y voient des maîtres injustes dont ils redoutent tous les caprices. Ainsi marche le mouvement national dans ces contrées, et telle est la force avec laquelle il se développe en ce sens, que les seigneurs magyars sont obligés, sous peine des plus grands périls, de faire de franches concessions à ces nécessités sociales. S’ils n’y sont point conduits assez promptement par les sentimens libéraux dont ils ont souvent fait preuve, ils y seront entraînés par des conjonctures qui pourront devenir fatales.

On voit à quel état de misère et d’anarchie la législation féodale a réduit la moitié de l’empire autrichien. En Gallicie, le gouvernement impérial rencontre des difficultés de nature à paralyser les volontés les plus fermes et à rendre pour long-temps inutile le bienfait de la réforme. En Transylvanie et dans une portion de la Hongrie, une haine violente, se compliquant par la division des races, pourrait, si l’on n’y prenait garde, amener, en dépit même des bonnes intentions de la noblesse, des luttes peut-être encore plus graves que celles de la Gallicie. La législation de la propriété a fait tout le mal dans la province polonaise, et si, en Transylvanie et en Hongrie, elle partage ce triste avantage avec la question des races, elle peut aussi hâter l’explosion et la rendre terrible. On chercherait vainement dans cette confusion déplorable les traces de cette fraternité que la poésie slave nous montre attachée à la commune primitive ; on y chercherait vainement cette tutelle intelligente qu’elle croit encore possible dans la commune moderne. Vainement aussi l’on voudrait nous convaincre que cette tutelle, sous laquelle la fraternité disparaît si rapidement, vaut la liberté de posséder avec toutes ses chances de bien et de mal ; vainement surtout l’on voudrait nous faire croire que les paysans s’en accommoderaient. Sujets, fils de serfs et petits-fils d’esclaves, ils n’ont point gardé le souvenir de la communauté antique. Entre le passé et le présent, ils ne voient et ne connaissent que les malheurs héréditaires de leur caste, et le droit qu’ils veulent, c’est un droit moderne, c’est la propriété individuelle et franche, c’est le travail libre et la possibilité de s’enrichir au risque du prolétariat même. Les théoriciens